Paris, 1761 … Cela fait quelques mois que Nicolas Le Floch, clerc de notaire de son état, a quitté sa Bretagne natale pour aller à Paris se placer sous les ordres du lieutenant général de police, Monsieur de Sartine. Il est envoyé là par son parrain, le marquis de Ranreuil, qui espère ainsi l’éloigner de sa fille Isabelle. Enfant trouvé, élevé par un saint homme de chanoine qui lui a donné son nom et une éducation soignée, le jeune homme n’a guère eu voix au chapitre, et son parcours dans la capitale est semé d’embûches. Son apprentissage du métier de policier auprès du commissaire Lardin tourne court après la disparition de ce dernier … Bientôt, on retrouve un cadavre calciné, vêtu de l’habit caractéristique qu’affectionnait cet homme plein de secrets. Il n’en faut pas davantage pour que Nicolas, plongé au cœur d’une enquête qu’il mène avec son adjoint l’inspecteur Pierre Bourdeau, ne se trouve en charge d’une affaire délicate, extraordinaire puisqu’elle touche au monde de la Cour, à la personne du Roi Louis XV et à celle de la favorite, Madame de Pompadour. Au cours de cette aventure passionnante, Nicolas va faire la connaissance de ceux qui formeront désormais son cercle : son mentor, l’ancien procureur de Noblecourt, qui va l’accueillir chez lui ; le chirurgien de marine, Guillaume Semacgus, à qui il va s’attacher durablement ; Monsieur de La Borde, premier valet de chambre du Roi ; et Charles-Henri Sanson, « Monsieur de Paris » ainsi qu’il était d’usage d’appeler le bourreau officiant dans la capitale.
Que penser de cette mise en bouche, très dense et pleine de promesses ? Ce roman inaugure un cycle qui retrace le destin singulier d’un petit clerc de notaire que son premier succès policier va propulser à la ville et à la Cour, comme commissaire au Châtelet et marquis de Ranreuil. Je ne vais pas tout dévoiler : ce serait un beau gâchis ! C’est que l’histoire personnelle de Nicolas constitue selon moi la facette la plus attachante de cette série, et aussi la moins exploitée par son auteur, à mon grand regret. La situation du héros évolue au long des quatorze volumes qui vont de 1761 à 1787, mais selon un rythme inégal qui laisse parfois les lecteurs sur leur faim. A la veille des grands bouleversements qui vont changer le visage de la France, Nicolas, pourtant père et grand-père, semble être resté un éternel adolescent qu’il me tardait de voir grandir un peu. Jean-François Parot étant malheureusement décédé en mai 2018, nous ne connaîtrons jamais le sort qu’il avait réservé à son héros, à moins qu’il n’ait laissé des notes à ce sujet. Il faudrait aussi qu’un écrivain au talent au moins équivalent au sien relève cet incroyable défi … ce qui rend hautement improbable l’hypothèse d’une suite. A moins que …
Mais concentrons-nous sur cet opus qui, comme je l’ai dit, a le mérite de planter le décor et d’introduire les personnages. Historien spécialiste du Paris du XVIIIe siècle, l’auteur manie le langage avec une élégance qui rend très bien à l’écrit – et beaucoup moins bien à l’oral, ainsi qu’ont pu le constater tous ceux qui ont suivi la série télévisée tirée des romans. Les personnages sont bien campés et crédibles, y compris le bourreau Sanson qui imprime à l’histoire un petit côté « Experts » tout à fait plaisant. Le décor est si consistant et décrit avec tant de réalisme qu’on pourrait presque le considérer lui aussi comme un des protagonistes de ce roman et de ses suites. Rien n’est laissé au hasard, c’est très bien … et même trop bien ! J’ai beau être historienne, je ne peux pas m’empêcher de trouver tout cela très historique, aux dépens de l’intrigue policière proprement dite. Un roman policier historique, c’est d’abord un roman policier : une littérature accessible et qui doit le rester. Malgré toute l’admiration que m’inspire le talent de Monsieur Parot, je dois reconnaître que L’énigme des Blancs-Manteaux ne répond pas à cette exigence-là. Une exigence implicite, je le concède, mais quand même. Dans une vie antérieure, j’ai été professeur d’histoire dans le secondaire supérieur. Charmée par la qualité de l’ouvrage, j’en ai proposé la lecture à mes classes. Même les élèves qui ont déclaré ensuite avoir apprécié ce livre ont avoué, du bout des lèvres, avoir presque constamment gardé leur dictionnaire sur leurs genoux. Oui, le niveau de langage concourt à l’ambiance Ancien Régime. Oui, il faut tirer les enfants vers le haut, les stimuler, les encourager à se perfectionner. Mais cela reste une expérience douloureuse pour eux comme pour moi, au point que je n’ai jamais osé leur demander s’ils envisageaient de lire la suite.
Un bilan en demi-teinte, donc. Ceux que les tournures authentiques et le vocabulaire élaboré ne rebutent pas seront happés par L’énigme des Blancs-Manteaux, et ils ne remonteront pas à la surface avant d’avoir tourné la dernière page. Un classique du genre policier historique.
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