Mai 1770. Cela fait dix ans que Nicolas Le Floch, commissaire de police au Châtelet et marquis de Ranreuil, vit à Paris. Son habileté à déjouer les complots, sous la férule de Monsieur de Sartine, lieutenant général en charge des affaires spéciales du Roi, attise les jalousies autour de lui et de son supérieur. Certains rêvent de reléguer les deux importuns loin de la cour de Versailles, qu’illuminent les festivités données à l’occasion du mariage du Dauphin avec l’archiduchesse Marie-Antoinette d’Autriche. Le peuple est en liesse. Un feu d’artifices est offert par la ville de Paris, mais alors que la foule est rassemblée sur la Place Louis XV (aujourd’hui Place de la Concorde) pour admirer le spectacle, un mouvement de carrosses provoque la panique et le désordre. Une bousculade s’ensuit, faisant des dizaines de victimes. Au milieu des cadavres, on retrouve une jeune femme, visiblement étouffée et qui serre une perle noire dans son poing crispé. L’examen post-mortem démontre qu’elle n’a pas été écrasée dans la cohue, mais proprement étranglée. La morte, qui se nommait Elodie Galaine, était orpheline : née dans les territoires perdus de Nouvelle-France, elle était revenue en métropole après le décès de ses parents, et elle demeurait chez son oncle paternel, Charles Galaine, en compagnie de son escorte, un Indien du nom de Naganda. Mais au-delà des apparences d’une bonne famille bourgeoise frappée de plein fouet par le deuil, Nicolas Le Floch découvre un clan fermé au monde, replié sur lui-même, que la vindicte populaire désigne sous des accusations de sorcellerie. Confronté à l’inexplicable et au mal dans toute son horreur, notre Breton aura fort à faire pour démêler l’écheveau du mystère qui pèse sur cette maison maudite.
Le talent de Jean-François Parot à décrire Paris et ses alentours au cœur du XVIIIe siècle atteint cette fois des sommets, avec la reconstitution des événements qui ont entouré le mariage du Dauphin, le futur Louis XVI. Il y a surtout cette atmosphère particulière, cette impression de froide malchance qui va désormais poursuivre les époux jusqu’au bout de leur destin funeste.
Et puis, les noces de Louis XVI, c’est aussi l’entrée en scène de la merveilleuse petite archiduchesse, cadette d’une famille très nombreuse et pion dans la politique internationale que mène sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse. Sous la plume de Jean-François Parot, Marie-Antoinette, qui déchaîne les passions depuis plus de 200 ans, prend vie avec une fraîcheur réellement vertigineuse quand on songe au sort affreux qu’elle connut 23 ans après son entrée triomphale en France.
En plus d’une intrigue bien construite, ce roman livre une description vivante et très fidèle de la société française d’alors, dans un mélange bien dosé d’anecdotes et de considérations politiques. Il n’y a pourtant guère de surprise, car la recette Parot ne change pas. Ce sont les mêmes schémas, que l’on trouve dans L’Enigme des Blancs-Manteaux et dans L’Homme au ventre de plomb : une double investigation, sur une affaire de droit commun aux implications profondes bien plus graves qu’il n’y paraît.
Mais cette structure classique se développe d’une manière plus audacieuse que dans les deux premiers volumes de la série. Il y a d’abord l’irruption de ce personnage remarquable qu’est l’Indien Naganda, un coupable si clairement désigné par tous que le lecteur ne peut que le prendre en affection. Une touche exotique ? Un alibi historique, parce qu’il fallait bien parler de la colonisation ? Non, c’est décidément plus que cela, parce que Naganda n’est pas un personnage secondaire : en évoquant cette figure pittoresque, l’auteur sort du cadre européocentriste dans lequel il s’était cantonné jusque là. Quel dommage qu’il n’ait pas persisté dans cette voie ! Il y excellait… Le deuxième thème qui en jette, à vous retourner les tripes, c’est celui de l’infanticide : je reste toujours perplexe et admirative face aux auteurs qui ont le courage d’affronter la nature humaine dans ce qu’elle a de plus laid. Il existe un tel contraste entre la vitalité des enfants et le caractère irrémédiable de la mort que l’on ne peut qu’en être saisi. Mais aborder le meurtre d’un enfant dans un ouvrage de fiction reste aussi dangereux que de jouer avec de la nitroglycérine. Enfin – et il s’agit là du reproche le plus sérieux que les critiques aient adressé à cet excellent opus – il y a le recours au surnaturel. On aime … ou pas ! Il n’y a pas de milieu. Mais cette fois, c’est du lourd… Pensez donc : un exorcisme ! Je ne goûte pas volontiers ce genre de subterfuge que je trouve un peu facile, mais j’avoue avoir été secouée par cette plongée brutale dans les nuées que le Siècle des Lumières n’avait pas dissipées. Evidemment, il faut être dans le mood pour apprécier l’évocation de rituels à la limite de la superstition et le plaisant malaise que cela provoque.
Pour le reste, on retrouve avec plaisir Nicolas et les siens, familiers et rassurants (y compris le bourreau de Paris). Les recettes de cuisine sont toujours bien présentes, elles aussi, de même que le vocabulaire châtié et les notes rassemblées en fin d’ouvrage, qui font un peu enrager les lecteurs maladroits. Même la tradition de la fin à la Hercule Poirot, avec le rassemblement des enquêteurs, des témoins et des suspects, suspendus aux lèvres de Nicolas, n’arrive pas à entamer mon enthousiasme. D’accord : Jean-François Parot aurait pu faire un effort pour éviter de se répéter, puisque la grande démonstration de la vérité, magistrale et solennelle, intervient déjà dans les deux premiers romans, mais la recette éprouvée garde toute sa saveur. Loin d’être ennuyeux, ce cadre stable a quelque chose de confortable : c’est simple, on a l’impression de retrouver des amis.
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