Ecrire – Le roman policier – Intrigue, trame, structure, en 9 étapes

Si vous avez ouvert cet article dans l’espoir d’y trouver LA méthode infaillible pour créer un roman policier, passez votre chemin ! Une fois pour toutes, il n’existe pas de recette tout faite. Tout n’est que travail, imagination, créativité, avec des conseils, des expériences, des bonnes pratiques, bref une liste d’ingrédients et d’astuces que vous enrichirez selon ce qui vous correspond. Certains auteurs affirment ne pas recourir à un plan et préférer laisser l’histoire s’exprimer librement … Grand bien leur fasse ! Pourquoi pas, après tout.

La principale erreur consiste à se précipiter : il faudrait que le roman soit fini avant d’être commencé. Halte là ! On va y mettre le temps nécessaire. Se hâter est toujours une erreur, qui entraîne souvent de lourdes conséquences.

Puisque nous avons tout le temps devant nous, allons-y pour un peu de vocabulaire.

–          L’intrigue, c’est la succession de faits et d’actions qui forment la trame d’une pièce de théâtre, d’un film ou d’un roman. Pour illustrer cette définition, on parle de comédie d’intrigue lorsque le comique résulte de la multiplicité et de la variété des incidents.

–          La trame, c’est ce qui constitue le fond sur lequel se détachent des événements d’un récit. C’est un canevas, une ossature.

–          La structure, c’est la manière dont les parties d’un tout sont arrangées entre elles. C’est l’organisation interne, l’ordre dans lequel on présente les éléments de la trame et de l’intrigue.

Bref, si on devait comparer la littérature à du tissage, on dirait que la toile de fond est la trame, les fils de couleur l’intrigue, et l’agencement de ces fils la structure. Le décor sur la boîte de puzzle, c’est la trame ; les pièces forment l’intrigue ; et la structure est la manière dont ces pièces s’organisent entre elles. Cela vous semble difficile ? C’est normal, mais on va débroussailler tout cela.echecs

Comment s’y prendre pour s’y retrouver ?

Il s’agit d’abord d’imaginer la situation générale dans laquelle les personnages vont évoluer. En pratique, rien n’interdit de revenir aux fondamentaux en créant des fiches pour chaque élément et en reprenant le bon vieux schéma narratif, le squelette de tous les récits :

a)    La situation initiale, l’introduction, qui consiste en une large mise en contexte et qui vise donner à voir la vie de tous les jours. On introduit les personnages dans leur environnement et on les dote d’objectifs et d’obstacles personnels. Ce tableau de la vie quotidienne avant la crise doit cependant porter en lui un je-ne-sais-quoi qui fait sentir que les choses vont basculer : si c’est trop plan-plan, le lecteur détalera en courant.

b)    L’élément perturbateur constitue une espèce de déclic : c’est quelque chose d’important et d’irréversible qui bouleverse la réalité et qui pose le problème à résoudre d’une manière particulièrement pressante. En gros, le « héros » va devoir se mettre au boulot fissa, et si sa prestation n’est pas à la hauteur, ça va saigner !

c)    Les péripéties sont des obstacles à la résolution du problème. Le « héros » (je n’aime décidément pas ce mot … un peu trop Man of Steel à mon goût !) va devoir se montrer créatif pour surmonter les difficultés avec l’aide de ses amis et malgré les menées de ses ennemis. Les personnages évoluent, l’histoire avance. Les péripéties doivent être bien ficelées, comme on dit, pour distiller ce qui est propre à l’atmosphère d’un polar : la peur, le mystère, le frisson.

d)    Le dénouement et la situation finale. Il y a encore une notion de déclic, et au terme des menées du « héros », la solution finale globale doit apparaître assez simple pour être expliquée et évidente une fois que tous les éclaircissements ont été apportés. Il est essentiel de conserver ici la conscience du travail effectué par le protagoniste : l’indice qui tue, c’est très bien, mais ça ne doit en aucun cas ressembler à de la magie. Tout doit être expliqué, le criminel doit être puni d’une manière ou d’une autre, et le héros voit sa vie transformée par sa quête, positivement ou négativement, c’est selon … Vous n’êtes pas obligé(e) d’aimer les Bisounours, et d’ailleurs, peu d’amateurs de polars sont adeptes des peluches à tons pastels, du moins dans les livres qu’ils choisissent de lire.

Une fois que ce schéma est établi, le boulot ne fait que commencer, car il est temps d’organiser les éléments de cette trame. A nouveau, il n’y a pas de recette miracle : vous avez carte blanche ! On peut commencer par le début de l’histoire, ou par la fin. On peut créer des histoires parallèles, mais il faudra penser à les ordonner en choisissant un cap, identifiable par le lecteur, afin de ne pas créer une désagréable confusion, surtout si vous décidez de piocher dans des littératures différentes (une histoire d’amour, un monde futuriste…). On peut aussi multiplier les situations initiales … Tous les choix sont ouverts, mais à ce stade, il vaut mieux travailler selon les principes du mindmapping, pour établir les rapports chronologiques et mettre en valeur les concomitances, histoire de rester cohérent et de ne pas s’égarer en cours de route. Une astuce, souvent efficace à ce stade, est de créer le titre, quitte à en changer par la suite : un titre, c’est une sorte de ligne de conduite pour l’auteur et pour le lecteur, c’est le premier élément textuel qui lui donnera envie de lire le livre, un condensé d’informations sur le genre et le contenu.

Commencer par la fin est une valeur sûre : on imagine la fin de l’histoire, puis toute l’histoire du crime avec, au centre des préoccupations, le mobile qui guide l’auteur ou le commanditaire du crime. La question du mobile est le pivot de toutes les histoires policières, parce que, quoi qu’on fasse, on agit toujours pour une raison x ou y. Cui prodest ? A qui profite le crime ? … N’oubliez jamais ça. Il faut montrer le temps où le crime était en gestation, et ce qui l’a déclenché finalement, avec tous les événements qui ont conduit à la commission du forfait. Cette étape introduit déjà largement la création des personnages, puisqu’il faudra imaginer le type de personnage qui pourrait commettre le crime tel qu’il vient d’être imaginé. 

La personnalité du criminel va occuper une place prépondérante dans le récit, puisque c’est par un effet de sa volonté, libre ou contrainte, que le crime est commis. On se met dans sa peau et on décide des moyens qui permettront de masquer sa culpabilité. Puis, on refait l’exercice en adoptant le point de vue du spectateur, et la structure s’écrit toute seule … Ce serait trop facile ! Ne vous fiez pas aux apparences : ce ne sont ni le crime, ni le criminel qui forment le cœur du roman policier et fondent son intérêt, mais bien le cheminement intellectuel qui fait jaillir la vérité et cesser l’action criminelle : « Le crime est vulgaire, et la logique est rare », disait Sherlock Holmes au début des Hêtres Rouges. L’enquêteur doit imprimer sa marque sur ce cheminement, au risque de passer pour un rigolo. Même s’il glisse parfois …trame

Aux personnages, est liée la question fondamentale du point de vue narratif : choisirez-vous de suivre votre principal protagoniste ? Ou de donner la parole à un personnage secondaire ? Ou de créer un roman choral ? Opterez-vous plutôt pour une solution hybride, fabriquée de toutes pièces pour coller au plus près de vos besoins ? Qu’importe ! L’essentiel, c’est d’accrocher l’intérêt du lecteur et de le maintenir jusqu’à la fin.

Le premier chapitre est traditionnellement dévolu à la découverte du crime, déjà commis. C’est un tempo classique, et c’est plutôt une bonne chose, puisque c’est à ce stade que l’on crée l’atmosphère de l’histoire en confrontant le lecteur avec le crime, principal vecteur de terreur. C’est à ce moment que l’on inscrit le roman dans tel ou tel registre (voir les différents genres de romans policiers). Cependant, l’étiquetage, pour confortable qu’il soit à bien des égards, ne doit jamais enfermer l’auteur, castrer son imagination ou brider sa liberté.

C’est le moment de faire preuve d’originalité. C’est aussi le moment de se poser sérieusement la question suivante : roman ou nouvelle ? La liberté doit rester totale. Je n’ai jamais écrit de nouvelle, qui constitue pour moi un genre à part, avec ses propres règles et sa propre esthétique. Je vais donc cantonner mon propos au roman. Disons alors d’une manière un peu générale et schématique que c’est au cours du premier chapitre que l’on accroche le lecteur et qu’on lui donne l’envie de poursuivre sa lecture. Connaissez-vous, parmi vos proches, des personnes qui donnent 25 minutes à un film avant de zapper ? Eh bien, l’enjeu est grosso modo le même pour les 50 premières pages de votre roman … Il faut donc soigner son entrée en matière pour captiver le lecteur et piquer sa curiosité. Remarquez qu’on peut très bien booster l’intérêt du lecteur en optant, dès le deuxième chapitre, pour l’une de ces plaisantes pirouettes chronologiques, le flashback, qui se termine à la commission du crime, et le flashforward, qui donne un aperçu de ce qui se passera dans quelques centaines de pages.

Il est important de garder à l’esprit la nécessité de sans cesse capter l’attention du lecteur, de ne jamais la croire acquise. Souvenez-vous toujours que cet homme ou cette femme a décidé d’occuper ses loisirs en lisant votre prose : pas en consultant Facebook, pas en regardant le dernier épisode d’Arrow, pas en faisant un sudoku, mais en sélectionnant votre livre pour y consacrer plusieurs heures. Montrez-vous à la hauteur de la confiance qu’il ou elle a placée en vous en structurant votre intrigue avec le plus grand soin :

–          Ne lésinez pas sur l’action : pas à tort et à travers, mais à bon escient, car c’est le moyen le plus efficace d’emmener votre lecteur au cœur de l’histoire.

–          Pensez au rythme : il faut empêcher le lecteur de décrocher en insérant des informations importantes sans rompre le dynamisme de la narration. Comment faire ? En révélant des éléments sur les personnages à chaque scène, en plaçant la peur au cœur du récit, en créant une course contre la montre… ou tant d’autres moyens issus de votre imagination féconde !

–          Vous êtes un metteur en scène : il faut montrer plutôt que raconter. Cela relève bien sûr du talent de rédaction, mais souvenez-vous toujours que votre lecteur, si vous l’avez correctement appâté, voudra tout voir et qu’il est bon de lâcher du lest en révélant des informations qui pourront lui permettre d’interpréter ce qu’il lit. Mais méfiez-vous des histoires cousues de fil blanc : votre récit devra dérouter les lecteurs raisonnablement intelligents, et pas seulement à la fin.

Comment savoir si vos efforts ont payé ? Un truc pour tester l’intérêt de votre travail : relisez-vous. Si cela vous barbe au bout de dix lignes, il y a peu de chance que le total intéresse qui que ce soit d’autre. Une autre astuce : demandez des avis et invitez vos censeurs à être cash, constructifs, mais sans complaisance.

Autant que la scène d’ouverture, la scène de fermeture requiert toute l’attention de l’auteur. Pourquoi ? J’en ai déjà parlé plus haut : commencer par la fin constitue le moyen le plus simple d’écrire un récit cohérent, parce qu’on sait où on va. On risque moins de se perdre dans les dédales de l’imagination et on s’arrête au bon moment, sans se sentir frustré. La fin déroutante et imprévisible pour le lecteur est une originalité qu’il faut oser, à l’encontre des règles du roman policier classique qui voudrait que le lecteur et l’enquêteur soient à égalité. Mais attention aux excès ! La gageure, c’est d’arriver à étonner sans donner au lecteur l’impression qu’il subit ce qu’il lit. Un lecteur qui subit, c’est un lecteur qui s’ennuie.

C’est pourquoi il faut aussi prendre garde aux rebondissements : ils sont essentiels, mais s’ils sont trop nombreux, ils créent chez le lecteur un sentiment de déréliction qui peut l’amener à interrompre sa lecture. Les péripéties ne sont pas du remplissage : tout doit être justifié, ordonné dans un but fixé d’avance. Chaque action est divisée en sous-actions qui sont elles-mêmes divisées en unités plus petites. Chaque scène doit être utile et remplir une fonction précise : faire progresser l’intrigue, donner une information essentielle à la compréhension de l’intrigue, dévoiler un personnage, ou illustrer un thème ou un personnage. Cette décomposition fine peut servir à une rédaction du type « premier jet », en la dilatant toujours davantage.

structure

Résumons-nous :

1)      A chaque auteur, correspond sa méthode.

2)      La création prend du temps.

3)      Les trois termes – trame, intrigue, structure – sont des notions centrales, mais elles restent au service de l’auteur qui y accroche ce qu’il veut.

4)      Soyez systématique : créez des fiches et un schéma narratif ; usez des ressources du mindmapping afin de garantir la cohérence de vos constructions ; choisissez un titre.

5)      Soignez particulièrement le début et la fin.

6)      L’ensemble des faits constituant l’intrigue, et spécialement les péripéties, doivent répondre au principe d’utilité.

7)      Gardez à l’esprit le triangle enquêteur-crime-criminel, avec au centre le cheminement intellectuel menant au jaillissement de la vérité.

8)      La question des personnages pose son corollaire : celle du point de vue narratif.

9)      Respectez votre lecteur en cherchant sans cesse à capter son attention, grâce à votre structure : rythme, mise en scène, action, le tout décliné selon le principe de l’utilité.

La création de la trame, de l’intrigue et de la structure n’est donc pas une mince affaire. Avec une bonne dose de confiance en soi et aussi pas mal d’autodiscipline, on peut s’en sortir et créer de toutes pièces l’aventure dans laquelle les lecteurs s’engouffreront avec plaisir.

2 commentaires sur “Ecrire – Le roman policier – Intrigue, trame, structure, en 9 étapes

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  1. Je suis déçu ! A la première phrase, tu casses l’ambiance, (enfin le suspens). Je pensais bien trouver LA méthode infaillible pour créer un roman policier !
    Bref, comme je suis en plein dedans. Je vais devoir retourner bosser en suivant au passage tes précieux conseils.
    Merci pour tes articles.

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