A La Burlière, relais de poste perdu dans la vallée de la Durance, le 19e siècle se termine sur un effroyable carnage. Tous les membres de la famille Monge, sauf le petit Séraphin âgé de trois semaines, sont égorgés en pleine nuit. En 1919, Séraphin, survivant du massacre et de la Grande Guerre, revient au village. Il entre en possession des biens de sa famille disparue, dont cette grande maison, inhabitée depuis le meurtre et que les villageois ont maudite. Hanté par les fantômes de ses proches, il décide de démolir La Burlière jusqu’aux fondations, pierre par pierre, malgré les habitants du village et les curieux de passage. Il découvre là un trésor et aussi le nom des assassins. Mais un justicier mystérieux, presque surnaturel, intervient alors, empêchant Séraphin d’exercer sa vengeance. Vengeance ou justice ? C’est en tout cas une fantastique quête de vérité.
Ce qui étonne dans cet excellent roman, c’est que sa forme ne déconcerte pas le lecteur. Le héros évolue dans un univers construit à la manière de Pagnol ou de Giono, avec des tournures de phrases provençales qui créent un style très classique, un peu suranné, mais pourtant fluide et plaisant. C’est quand on entre vraiment dans le récit – ce qui arrive très vite – qu’on est réellement suffoqué par l’ambiance de sauvagerie qui règne dans cette Provence ensoleillée, un contexte inattendu pour le déploiement d’un suspense aussi efficace. Et cette Provence, justement, parlons-en ! Ce n’est pas un écrin poétique pour une tragédie, c’est une partie prenante du drame. La région des Basses Alpes, chère à l’auteur, est dépeinte avec tellement de réalisme qu’on en respirerait presque les odeurs.
Les personnages sont merveilleusement campés, à commencer par le protagoniste, Séraphin, le survivant que personne au village n’aime voir de retour : autour de ce douloureux jeune homme, nulle compassion, et en retour, aucune confiance … Le quotidien de ces gens, farouches et retors, est décrit avec un luxe de détails qui ne semblent jamais superflus. En général, les longues descriptions sont souvent un peu rasantes, même quand on s’y attend, et le public, s’il est conquis par la dynamique du récit, finit par en prendre son parti. Ici, au contraire, dans ce magnifique tableau de la société rurale française des années 1920, chaque détail trouve naturellement sa place, et le lecteur, loin d’être accablé d’informations, en retire une compréhension plus profonde des mobiles qui animent les uns et les autres. Pierre Magnan nous livre des peintures fidèles, réalisées avec un art consommé.
Un extrait pour vous faire une idée ? Voici donc comment l’auteur introduit Rose et Marie, les deux belles jeunes villageoises amoureuses de Séraphin le survivant : « Certaines filles n’allaient pas au bal. Celles d’abord qui avaient eu des pères ou des frères morts au front et qu’on tint en grand deuil, des années durant. Mais aussi, celles dont les familles s’efforçaient de creuser un fossé entre elles et le commun des mortels. Ces familles-là, il y en a partout. Elle veulent être comme il faut. Il faut donc serrer les filles. Si elles sont laides, le mot irréprochable fait recette auprès des timides et comme selon ce qu’on dit, le haut leur a conservé le bas, il se présente toujours quelque parti convenable. Mais si elles sont belles, alors là, ce sont les reliques des saints sous une châsse. On dit : Ils croient avoir monarque. On dit : C’est la prunelle de leurs yeux ».
Les fausses pistes – parce qu’il y en a, pensez donc : un garçon venu élucider le mystère de la mort de ses parents vingt ans après – ont du corps. Vous aurez beau chercher : il n’y a aucun « alibi » dans cette histoire envoûtante aux rebondissements délectables et au final inattendu.
Et puis La Maison assassinée, c’est aussi le film de Georges Lautner, en 1988, avec Patrick Bruel dans le rôle de Séraphin Monge. Ma vocation n’est pourtant pas de me faire critique de cinéma, mais cette fois, impossible d’en faire l’économie … L’adaptation est incroyablement fidèle à l’atmosphère sombre et sauvage du livre. Certains critiques ont dit qu’on pouvait commencer indifféremment par l’un ou l’autre, mais si vous avez vu le film avant de lire le roman, comme moi, vous verrez qu’il est ensuite impossible d’imaginer un autre visage que celui de Patrick Bruel pour le personnage central, rendu dans toute son intelligence et sa détermination – et aussi dans l’isolement complet dans lequel il vit, à l’écart d’une communauté villageoise qui le rejette. Et il en est de même pour le reste de la distribution, qui est d’une qualité exceptionnelle.
Un film à voir, un livre à lire, dans l’ordre que vous voulez.
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