Venise : ses canaux, ses ruelles, ses musées et son Comité Tiziano chargé par le gouvernement de recenser et d’authentifier les œuvres d’un génie local, Tiziano Vecellio, Le Titien en personne. La vie serait belle et douce dans ce sérénissime décor si Louise Masterson, un des membres dudit Comité, n’avait pas été retrouvée assassinée dans les Giardinetti Reali, poignardée à mort au beau milieu d’un parterre de lys. Quelle grande découverte historique la victime avait-elle pu faire ? La course à la réussite dans le sérail universitaire est-elle en cause ? Que dire des rapports tendus entre les spécialistes réunis au Comité – des individus mal assortis dont l’entente ne semble être que de façade ? Bref, c’est un véritable panier de crabes : on est très loin de la dignité académique que l’on serait en droit d’attendre de telles sommités… L’enquête préliminaire est menée à l’emporte-pièce et au final, c’est tout juste si la police locale ne conclut pas à la responsabilité partielle de la victime dans le malheur à elle survenu : pensez donc ! Une Américaine traînant dans Venise, agressée sûrement, et quelle idée de lutter pour garder son sac ! Et ses collègues disent qu’elle était insupportable, ambitieuse, carriériste : un truc comme ça devait finir par lui arriver un jour, voilà tout… La faute à pas de chance ? Peut-être, mais puisque l’affaire touche à l’art, l’enquêtrice Flavia di Stefano est mandatée à Venise : elle y est reçue comme un chien au milieu d’un jeu de quilles, obligée de tirer comme elle peut son épingle du jeu – en l’occurrence, une mesquine petite guerre des polices à l’italienne. Heureusement, la séduisante jeune femme retrouve son ami anglais, Jonathan Argyll, négociant en art, qui peine à conclure une affaire des plus lucratives. Unissant leurs forces, nos deux complices vont tenter de percer ce mystère du Comité qui s’épaissit à mesure que sont perpétrés de nouveaux crimes et que des tableaux de valeur disparaissent. Pendant ce temps, la situation du service en charge du patrimoine artistique, confronté aux affres du budget et aux obligations de résultat, devient tellement critique que le troisième larron, le très casanier général Bottando, finit par quitter sa chère Rome pour venir en personne s’assurer du bon suivi de l’enquête. Crimes passionnels ? Affaire d’Etat ? Vaste trafic international ? Ou bien les trois à la fois ?
C’est une nouvelle intrigue inquiétante qui se joue dans le monde de l’art, un monde dont Iain Pears, historien de l’art, est plus que familier. On y retrouve les mêmes ingrédients que dans le premier opus de la série : un humour décalé so british, du charme à revendre, une narration efficace et plaisante, un style alerte et aussi un suspense haletant. Avec un défi supplémentaire, que l’auteur a relevé avec brio : c’est très culotté de sa part d’avoir troqué le soleil romain contre les brouillards de la lagune, même si les ors de la Cité des Doges n’ont rien à envier aux fastes de l’ancienne capitale impériale. Mention spéciale pour l’étonnante capacité de Iain Pears à planter son chevalet dans les décors les plus variés, avec le même talent d’évocation. Il y a aussi, aux trois quarts du roman, une petite virée dans le Sud de la France qui se révèle particulièrement savoureuse, surtout au moment de la découverte du cadavre n°3, Georges Bralle, un des fondateurs du Comité… Jugez plutôt : « Ce ne fut pas tant le choc de buter soudain sur un cadavre – bien qu’Argyll n’eût pas beaucoup d’expérience en ce domaine – ni vraiment l’éventualité d’une mort violente, sans qu’on pût en déterminer la nature pour le moment, que le teint verdâtre et luisant de ce cadavre, son odeur suffocante et la grosse mouche trop bien nourrie qui voletait au-dessus en bourdonnant qui firent reculer Argyll de deux pas, pivoter sur lui-même et, pris d’une puissante et irrésistible nausée, déposer ce qui restait de son petit déjeuner dans un coin de la pièce ». Comme si on y était !
Il serait peut-être un peu exagéré de parler de grand chef-d’œuvre de la littérature, mais Le Comité Tiziano tient toutes ses promesses de divertir, d’accrocher et d’intriguer le lecteur. Davantage même, selon certains critiques, que L’affaire Raphaël… En même temps, le cadre est déjà établi et on échappe aux inévitables lourdeurs propres à tout début de série. Et le trio infernal, désormais campé sur des bases solides, n’en fonctionne que mieux, même si la sémillante Flavia et son gaffeur servant tendent nettement à voler la vedette au gros général – pourtant stratège de haut vol. Caricaturés, les personnages ? Sans doute un peu : c’est vrai que les femmes et les Américains en prennent pour leur grade. En contrepartie, le portrait sans complaisance de la famille nombreuse est criant de vérité. Qu’importe, au fond : c’est un polar, pas une réalité-fiction.
Une trame complexe, de l’érudition sans pédantisme, des rebondissements multiples qui s’enchaînent avec aisance, une action soutenue et un suspense savamment entretenu qui conduit à soupçonner tout le monde jusqu’à la révélation de la dernière page … Plaisir de lire garanti !
Polar historique – Le Comité Tiziano, de Iain Pears

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