Un joli recueil selon mon cœur : neuf nouvelles qui s’enchaînent à l’ancienne mode et qui rappellent la Belle Epoque et les journaux à feuilletons… Une bouffée de nostalgie et un premier acte dans les aventures du fameux gentleman cambrioleur : un pur délice !
Fils d’un constructeur naval, Maurice Leblanc écrivit son premier roman intitulé Une femme, en 1893 : cet opus au caractère psychologique lui valut le soutien de Maupassant qu’il admirait. Ses romans suivants, dont L’œuvre de mort (1897), lui apportèrent l’estime de Léon Bloy et de Jules Renard. Boudé par le succès, il se résolut à publier en 1904 des textes plus populaires pour le magazine Je sais tout. S’inspirant du héros de Conan Doyle que le Strand magazine avait lancé en Angleterre, il publia en juillet 1905 L’arrestation d’Arsène Lupin – un héros qui s’attira immédiatement les faveurs du public. La deuxième nouvelle, Arsène Lupin en prison, fut ainsi annoncée en novembre 1905 : « La publication d’une œuvre sensationnelle, appelée à un retentissement énorme : les surprenantes, mystérieuses, inattendues, originales et passionnantes aventures du génial escroc Arsène Lupin, dont l’habileté et la chance infernales dépassent tout ce que nous savions jusqu’ici des tours de force les plus extravagants des grands aventuriers ».
Puis il y eut ces malheureuses histoires de noms… En 1906, Sherlock Holmes arrive trop tard confronta le gentleman cambrioleur français au détective britannique Sherlock Holmes dont la renommée s’étendait sans cesse. Indigné, Conan Doyle dénia à Je sais tout le droit d’utiliser le nom de son héros, que le pasticheur rebaptisa Herlock Sholmès. Un peu plus tard, un journaliste vint trouver Maurice Leblanc : l’homme s’appelait Lupin, pas Arsène, mais Lupin, et avec le succès des aventures du sublime escroc, sa vie était devenue impossible. Flegmatique, l’écrivain lui conseilla simplement de changer de nom.
Au menu de ce merveilleux recueil que je me promets de relire très vite, les nouvelles suivantes :
- L’arrestation d’Arsène Lupin
- Arsène Lupin en prison
- L’évasion d’Arsène Lupin
- Le mystérieux voyageur
- Le collier de la reine
- Le sept de cœur
- Le coffre-fort de Madame Imbert
- La perle noire
- Herlock Sholmès arrive trop tard
D’accord, les ficelles – déguisements, chausse-trappes et combines en tous genres – sont parfois un peu grosses, mais quel charme ! Rappelons-nous que ces récits ont été créés à une époque où la télévision n’existait pas : alors, ne nous en prenons pas trop au côté grand guignol et aux nombreux coups de théâtre qui devaient enchanter les lecteurs des premiers temps. Convenons-en honnêtement : on n’en fait plus, des histoires comme celles-là qui passent les modes pour procurer encore aujourd’hui une véritable joie de lire. Quelle gouaille ! Cela a beau être fracassant et sautillant, on se laisse embarquer avec une facilité déconcertante par ces récits courts, enlevés, tout complets mais suffisamment développés, et qui restent crédibles malgré tout ce qu’on peut en dire. Le style est classique et élégant, le suspense habilement maintenu notamment grâce à des rebondissements bien agencés, le langage maîtrisé avec un art consommé. C’est efficace et concis… un peu trop concis, en fait : quand on aime, on aime tellement que le seul reproche que l’on puisse adresser à ces neuf merveilles, c’est de n’être pas plus longues !
Evidemment, je connaissais le personnage d’Arsène Lupin : comme beaucoup, j’avais lu la fameuse Aiguille creuse dans le cadre de mes lectures scolaires, et j’avais bien aimé ce livre, mais pas au point d’aller voir plus loin et de reprendre la série au début – et pourtant je sais que c’est toujours mieux de suivre un cycle dans le bon ordre. Péché de jeunesse, défaut de maturité : qui saura ? Enfin, il n’est jamais trop tard pour bien faire, mais j’avoue m’y être lancée à reculons. Et pourtant j’apprécie les récits surannés aux formes un peu désuètes… Mais là, je suis complètement bluffée !
On rit, on tremble, on s’exclame : jamais rien de tiède ou de gris avec ce diable de Lupin ! Courtois, rusé, impétueux, insolent : les mots manquent pour décrire cette bouffée de fraîcheur faite homme. Partout où va ce « Robin des Bois » de la Belle Epoque, précurseur du désencombrement domestique, on le suit, sans toujours en avoir conscience, tout à l’enchantement d’être de la partie. On frémit à l’imaginer assis calmement à côté d’un cadavre, occupé à reconstituer mentalement le sort du bijou qu’il voulait voler… On hurle de rire à se le figurer auxiliaire de police, secondant avec beaucoup d’obligeance deux gendarmes lancés aux trousses d’un malfrat que l’escroc charmeur a réussi à faire passer pour lui-même… On est indigné de le voir floué, arroseur arrosé, escroc roulé dans la farine par ceux-là même qu’il voulait dépouiller… Bref, on ne s’ennuie jamais : Lupin, c’est un héros polymorphe à la manière des récits mythologiques. Quoi qu’il fasse, on tient toujours avec lui contre le commissaire Ganimard et le grand Herlock Sholmès, toujours si hautains et imbus d’eux-mêmes qu’on ne peut s’empêcher de grimacer en lisant leurs noms. Les descriptions peuvent parfois paraître un peu longues, mais une fois à la fin, on se rend compte qu’il n’y a rien de trop et que chaque détail a pris sa place.
Vous aurez bien compris que j’y ai largement trouvé mon compte, même en tant qu’historienne : j’ignorais que la banqueroute de la famille Rohan-Guéménée avait eu un tel retentissement dans l’opinion publique. Ces faits datent de 1782, et on les évoque en 1905 sans trop de détails, comme si l’affaire était encore si bien connue qu’on n’ait pas besoin d’en rappeler la nature et le déroulement. Comme vous l’aurez aussi compris, je ne vais pas m’en tenir là : comme toutes les aventures d’Arsène Lupin sont désormais tombées dans le domaine public, j’en ai d’ores et déjà obtenu gratuitement les versions numériques sur ma liseuse… A moi, les longues soirées d’hiver !
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