Tout commence lorsqu’un pêcheur de Fjällbacka retrouve dans son casier à homards le corps d’une petite fille noyée. Bientôt, on constate que Sara, 7 ans, a de l’eau douce savonneuse dans les poumons. Quelqu’un l’a donc tuée avant de la jeter à la mer. Mais qui peut vouloir du mal à une enfant ? Alors qu’Erica vient de mettre leur bébé au monde, Patrik Hedström, bouleversé par son nouveau rôle de père, mène l’enquête sur cette horrible affaire. Car sous ses apparences tranquilles, Fjällbacka dissimule de sordides relations humaines, des querelles de voisinage, des conflits familiaux, et même des pratiques pédophiles. Et lorsqu’on gratte un peu, on peut remonter aux origines du mal, au début des années 1920.
A nouveau, on retrouve le schéma des histoires habilement imbriquées grâce au mécanisme du flash back. C’est une pirouette chronologique ingénieuse, dont certains auteurs, comme Camilla Läckberg, raffolent au point de l’utiliser encore et encore : c’est une bonne recette, qui doit paraître rassurante quand on la maîtrise, même si à la longue, la répétition finit par nuire à l’intérêt de l’intrigue, par un regrettable effet de ricochet. Je ne suis pas une fanatique des surprises à tout prix, mais j’avoue apprécier une certaine variété. Certes, l’écriture est fluide, le style efficace, le rythme haletant, mais c’est parfois un peu vertigineux de passer sans cesse du passé au présent.
En plus d’une structure chère à l’auteur, on retrouve les personnages récurrents – la marque de fabrique de toutes les séries : la talentueuse Erica, qui vient d’avoir son bébé et qui a encore les hormones dans le chignon, et son chéri, le gentil Patrik, aux petits soins pour sa belle et pour leur petite Maya, ainsi que leur entourage familial et professionnel. Quelques grincheux ont reproché à l’auteur d’avoir considérablement étoffé la vie privée d’Erica, au fil des romans, mais c’est une opinion que je ne partage pas. Parcourez votre horizon littéraire et vous verrez qu’on en trouve à la pelle, des héros qui n’évoluent jamais significativement. J’adore le côté badass de Cotton Malone, le héros de Steve Berry, et j’ai passé un délicieux moment à lire La Conspiration Hoover, le dernier opus de la série, mais je regrette l’espèce de standby qu’entretient l’auteur. Comment ? La Conspiration Hoover, c’est un préquel qui tombe à point nommé, puisque dans L’héritage Malone, le précédent roman, la belle Cassiopée Vitt – la bonne amie du dur à cuire – caressait l’espoir d’un mariage… Une stratégie d’évitement ? Voilà qui y ressemble fort ! C’est très bien de ne pas céder au syndrome Alice Roy : vous savez, cette héroïne de la Bibliothèque Verte, blonde aux yeux bleus, éternellement âgée de 18 ans, perpétuellement en vacances et en voyage, pas de diplôme, pas de job et rien d’autre à faire de ses dix doigts que de pourchasser des méchants d’opérette. La belle vie, quoi… sauf qu’on n’y croit pas une seconde !
Les personnages vivent leur vie, et tant mieux. Ils sont parfois un peu caricaturaux, mais ce n’est pas gênant : je pense surtout à Kristina, la belle-mère, fée du logis et éducatrice chevronnée, toujours prête à partager sa science avec cette pauvre Erica qui ne sait décidément pas s’y prendre. Ils sont surtout très nombreux, ces personnages, mais c’est l’habitude chez Camilla Läckberg. « C’est qui, ça, déjà ? »… J’ai réglé le problème depuis la lecture du Prédicateur : je dresse une liste, dès le début. Fjällbacka est une ville : c’est naturel qu’elle grouille de monde.
Dans ce roman, j’ai relevé à certains moments des changements de tempo qui m’ont longtemps laissée perplexe avant que je comprenne qu’ils faisaient partie intégrante du récit : il ne s’agit pas de perte de vitesse ou de laisser-aller de la part de l’auteur. Au contraire, c’est ainsi qu’elle réussit à déterminer clairement les phases de l’enquête et à en exprimer toute la réalité : l’émotion lors de la découverte du décès, les recherches parfois fastidieuses, les tâtonnements, les ralentissements et puis l’accélération et le climax. Et quelle enquête ! Un meurtre d’enfant… Une horreur indicible qui requiert, de la part de l’auteur qui entreprend de l’aborder et de la décrire, une audace sans pareille et une maîtrise absolue. Camilla Läckberg y réussit avec une autre qualité, très rare : la décence. L’atmosphère sordide et irrespirable est à la hauteur des meilleurs thrillers. Une question, tout de même, sans « spoiler » parce qu’elle touche à la personne qui a porté la main sur la petite Sara : où l’auteur est-elle allée pêcher un monstre pareil ? Une véritable créature de cauchemar !
Rappelons, avant de conclure, que Camilla Läckberg écrit dans sa langue maternelle, en suédois. Alors si vous ne savez pas lire cette langue dans le texte, il faudra vous contenter de la traduction qui est d’un bon niveau, autant que je puisse en juger et malgré certaines rouspétances émises çà et là.
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