Sussex, 1912. Dans le cimetière d’une église, des villageois se rassemblent. Selon une vieille superstition, c’est cette nuit que l’on verra marcher en procession les fantômes de ceux qui mourront dans l’année à venir. Or, ici, là où l’estuaire ouvre sur la grande mer, les superstitions ont la vie dure. Seule à l’écart, la fille du taxidermiste observe la scène. La cloche se met à sonner, et tous les yeux sont fixés sur l’église… Personne ne voit les mains gantées, ni le fil d’acier qu’elles tiennent… Les derniers échos des tintements s’égrènent dans l’obscurité de la nuit… A vingt-deux ans, Connie Gifford vit avec son père dans la vieille bâtisse qui hébergeait autrefois un célèbre musée de taxidermie. Désormais, les oiseaux empaillés ornant les salons des maisons bourgeoises sont passés de mode et les raisons de la fermeture du musée tenu par la famille Gifford restent mystérieuses. Connie a perdu la mémoire après un accident et ne garde aucun souvenir de cette époque. Lorsque le cadavre d’une femme est découvert dans un ruisseau derrière la propriété des Gifford, le passé ressurgit… Connie met dès lors tout en œuvre pour démasquer les coupables et dévoiler enfin les secrets de ces années oubliées.
Voilà un pitch qui donne envie d’aller juger sur pièce, d’autant que l’ouvrage est recommandé par Anthony Horowitz – l’auteur de ces pastiches holmésiens magistraux que j’adore – qui le qualifie de rencontre entre Daphné Du Maurier et Agatha Christie… Bon, d’accord : me lancer éperdument dans une lecture sur la foi de quelques mots bien choisis est une pratique qui m’a déjà joué de vilains tours, mais pour une fois, c’est une bonne pioche !
Un roman étrange, avec un titre qui étonne… Une atmosphère fascinante, irréelle, très Belle Epoque avec un je-ne-sais-quoi de très anglais et très humide : les marécages tout proches, les marées, les pluies, l’impression confuse que toutes les couleurs sont délavées… Rien qui révolutionne vraiment les codes du genre, mais c’est efficace et bien construit. Le démarrage est un peu lent, mais une fois lancée, l’histoire se déroule, inexorablement… Dès les premières pages, le malaise est palpable, puis la tension monte et on sent que l’apparente simplicité de la vie de ces ruraux sans histoire cache autre chose de plus sombre et de plus mystérieux. Le sentiment d’une catastrophe imminente est si présent qu’il en est presque suffocant… C’est vrai que l’art de la taxidermie, décrit en long, en large et en travers (bravo d’ailleurs à l’auteur qui a dû effectuer des recherches plus que conséquentes sur le sujet), confère au récit un caractère glauque, irrespirable, malsain : quels que soient le respect que l’on peut avoir pour les dépouilles des bêtes et la maîtrise d’une pratique vraiment délicate et codifiée, c’est difficile d’imaginer aujourd’hui qu’on ait pu désirer posséder et exposer des animaux morts… Autre époque, autres mœurs, mais au moins, c’est instructif.
Il arrive rarement qu’un personnage principal provoque aussi vite chez moi un tel attachement : Connie Gifford apparaît immédiatement comme le centre de l’intrigue – une intrigue qu’il est impossible de lâcher avant la dernière page, non seulement grâce à sa construction et aux qualités littéraires du texte, mais aussi à cause de l’attrait de personnages singuliers que l’on a l’impression de connaître intimement. Mention spéciale pour cette proximité rarement atteinte. J’avoue n’être pas fan a priori des récits dans lesquels un personnage de premier plan, amnésique suite à des circonstances mystérieuses, retrouve peu à peu ses souvenirs, mais ici, cet « inconfort » est contrebalancé par l’ambiance de ce petit village anglais, très replié lui-même comme l’étaient toutes les bourgades rurales avant 1914. On mesure mal aujourd’hui le bouleversement dans les mentalités qu’occasionna le premier conflit mondial, surtout pour des collectivités qui vivaient, comme ici, enfermées par la force des choses dans des schémas autarciques et traditionnels. Au-delà du cas personnel de Connie, c’est comme si toute la communauté se réappropriait sa mémoire.
Le style est fluide, visuel, très facile d’accès pour tous les publics. Les chapitres sont courts, ce qui facilite et accélère encore la lecture, et les repères chronologiques précis sont vraiment très appréciables et renforcent la cohérence de l’ensemble. Une structure claire : voilà encore un élément qui manque souvent cruellement aux romans policiers. Et le dénouement – que l’on voit venir, je ne vais pas dire le contraire – est dans la ligne de toute l’histoire : complet, précis, détaillé. Aucune zone d’ombre ne persiste après la scène finale, et ça aussi, c’est assez rare.
Les critiques qui ont salué La fille du taxidermiste affirment que Sépulcre et Labyrinthe, du même auteur, sont encore meilleurs… « Yapluka » aller voir ça !
J’ai lu, récemment, Labyrinthe. Il est plus qu’excellent ! Je te le recommande pendant que moi je lirai celui-ci qui a l’air très bien aussi.
Merci pour ces si bons articles qui donnent envie.
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