Polar historique – Le Jugement dernier, de Iain Pears

Lorsque Jonathan Argyll accepte, lors d’un passage éclair à Paris, de rendre service en rapportant à Rome un obscur tableau du 18e siècle – une Mort de Socrate, d’une série de quatre tableaux représentant des procès célèbres, dont celui de Jésus –  il est loin d’imaginer jusqu’où va l’entraîner ce simple geste de cordialité. C’est vrai que l’incident de la gare donnait à penser, mais bon : c’était juste un voleur qui s’était emparé du paquet contenant le tableau, un coup de malchance heureusement rattrapé in extremis… Fait étrange, à Rome, l’acquéreur, un certain Muller, a l’air très déçu de découvrir son nouveau bien : après y avoir jeté un coup d’œil, il y renonce, quasiment sur-le-champ, et il charge Argyll, puisqu’il l’a sous la main, de procéder à la remise en vente de ce qui n’est sans doute qu’une croûte. Jonathan emporte donc le tableau chez lui, mais le lendemain, il apprend que son client a été retrouvé mort dans l’appartement où il l’avait rencontré : le malheureux a été horriblement torturé avant d’être exécuté… Comble de malchance, il semble que ce meurtre affreux soit lié au tableau, et Jonathan « La Gaffe » est le dernier à avoir vu Muller en vie. La situation du jeune marchand de tableau est d’autant plus délicate que c’est sa compagne, l’enquêtrice Flavia di Stefano, qui mène les investigations avec un collègue carabinier, Giulio Fabriano, qui se trouve justement être son ex… De Rome à Paris en passant par la Suisse et l’Angleterre, les deux tourtereaux vont mettre au jour une affaire complexe d’héritage et de trahison, une affaire qui va les conduire sur les traces d’un réseau de résistants démantelé par les Allemands.

Le plaisir de lire est au rendez-vous, encore et toujours… Cette histoire passionnante aux allures de cold case est troussée comme les premiers romans de la série, avec cet élément supplémentaire appréciable qu’est l’évolution personnelle et professionnelle des personnages, toujours aussi attachants et bien croqués : Jonathan s’est installé à son compte et tandis que Bottando se débat toujours avec la politique pour faire survivre son service, Flavia prend du galon. Ce polar historique, c’est à nouveau une construction implacable autour d’une œuvre d’art – ici, un tableau, véritable fil rouge du récit, qui semble porteur d’une malédiction.

Ce qui est bien avec Iain Pears, c’est qu’il n’est pas nécessaire d’attendre d’avoir lu 200 pages pour être enfin lancé dans l’histoire… Le début de l’enquête est truculent, malgré le contexte, grâce au témoignage providentiel d’une voisine – un véritable morceau de bravoure ! Jugez plutôt :

« Il doit y avoir des centaines de femmes en Italie comme la signora Andreotti… Des vieilles dames tout à fait charmantes, qui ont passé toute leur vie dans de petites villes ou même dans des villages. Capables d’effectuer de véritables travaux d’Hercule – faire la cuisine pour des milliers de personnes, élever des dizaines de gosses, s’occuper de maris et de pères, et très souvent en pratiquant un métier. Puis leurs enfants grandissent, leurs maris meurent, et elles emménagent chez l’un des enfants pour s’occuper de la maison. Elles n’y perdent pas, dans l’ensemble, et ça vaut beaucoup mieux que d’être enfermée dans un asile de vieillards.

Or, il n’est pas rare que les enfants soient installés fort loin de leur lieu d’origine. Ayant très bien réussi dans la grande ville, à la tête d’une petite fortune inimaginable pour les gens de la génération de leurs parents, bon nombre d’entre eux vivent confortablement grâce à leur travail. La famille Andreotti suivait ce modèle : les parents qui travaillent, un enfant qui va à l’école, et personne à la maison de huit heures du matin à huit heures du soir. La vieille signora Andreotti, qui jadis dans son village passait son temps libre à commérer avec les voisines, se barbe maintenant à mourir. C’est pourquoi rien ne lui échappe. Elle remarque la moindre camionnette de livraison dans la rue, le moindre gosse jouant dans la cour. Elle entend le moindre bruit de pas dans le couloir, connaît les habitudes de tous les habitants du pâté de maisons, sans exception. Elle n’est pas de nature fouineuse, mais, simplement, n’a rien de mieux à faire. Certains jours, c’est là son seul contact humain.

C’est ainsi que la veille, comme elle l’expliqua à Fabriano, elle avait vu un homme assez jeune arriver avec un papier enveloppé dans du papier kraft et repartir, quarante minutes plus tard, avec le même paquet.

(…)

– L’après-midi, un autre homme est venu et a sonné à la porte (…).

« Pouvez-vous décrire ces deux hommes ? »

Elle hocha doctement la tête.

« Bien sûr, affirma-t-elle, puis elle se mit à brosser un portrait fidèle d’Argyll.

– C’était le visiteur du matin, n’est-ce pas ?

– En effet.

– Et celui de l’après-midi ?

– A peu près un mètre quatre-vingts. Environ trente-cinq ans. Cheveux châtain foncé assez longs. Chevalière en or à l’annulaire gauche. Lunettes rondes cerclées de métal. Chemise à raies bleues et blanches, avec des boutons de manchettes. Mocassins noirs…

– Hauteur de l’entrejambe ? » demanda Fabriano, médusé. La femme était le genre de témoins dont rêvent les policiers, mais qu’ils ne trouvent pas souvent.

« Je ne sais pas. Mais je peux essayer de faire une évaluation si vous le désirez ».

L’humour so british dont l’auteur émaille son texte ne l’empêche pas de redevenir sérieux quand les circonstances l’imposent, par exemple pour le dénouement qui emmène le lecteur quasiment in vivo au cœur d’une époque troublée de l’Histoire, avec des références qui serrent le cœur mais qui sonnent si vrai.

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