Polar classique – La fille du train, de Paula Hawkins

Entre la banlieue où elle habite et le cœur de Londres où elle est censée prendre son poste, Rachel prend le train deux fois par jour : à 8h04 le matin et à 17h56 le soir. Et chaque jour elle observe, lors d’un arrêt, une jolie maison en contrebas de la voie ferrée. Cette maison, elle la connaît pas cœur, elle a même donné un nom  à ses occupants, des trentenaires à l’allure sympathique et décontractée : Jess et Jason. Un couple qu’elle imagine parfait, heureux, comme Rachel et son mari Tom ont pu l’être par le passé, avant qu’il la trompe et avant qu’il la quitte pour Anna, sa maîtresse qui attendait un enfant de lui. C’était il y a deux ans déjà et Rachel se débat toujours dans les regrets, la dépression, l’alcool. Sa fascination pour Jess et Jason est encore renforcée par le fait que le couple habite dans cette même rue où Rachel habitait du temps de son mariage et où Tom, heureux avec Anna et la petite Evie, vit toujours. Rachel ressasse le passé et lutte désespérément pour cacher à son entourage la gravité du mal-être qui la ronge, à Tom qu’elle appelle sans cesse et qu’elle finit par effrayer, à Cathy, l’amie qui l’héberge depuis deux ans… Jusqu’à ce matin où Rachel voit Jess dans son jardin, en train d’embrasser un homme qui n’est pas Jason.  La jeune femme aurait-elle une liaison ? Bouleversée de voir ainsi son couple modèle risquer de se désintégrer comme le sien, Rachel décide d’en savoir plus. Mais quelques jours plus tard, elle découvre avec stupeur la photo d’un visage désormais familier, à la une des journaux : Jess – ou plutôt Meghan – a mystérieusement disparu et c’est Jason – ou plutôt Scott – son mari, qui est le principal suspect.

C’est le genre de livre qu’on lit d’une traite. Dès les premières pages, on est happé par la puissance narrative originale de cette histoire à trois voix, trois voix de femmes qui parlent en « Je »  –  Rachel, Meghan et Anna – avec des repères chronologiques qui donnent le tournis quand on en prend enfin la mesure. La tragédie se déroule littéralement sous nos yeux, et on ne peut s’empêcher de rire, de trembler, de pleurer avec ces trois femmes qui ont chacune leurs faiblesses, leurs forces, leurs failles. Le suspense monte de page en page, sans artifice, comme s’il était entraîné par un mouvement naturel. Et c’est le cas : c’est le quotidien dans sa terrifiante banalité qui le nourrit, inexorablement, tandis qu’on s’achemine vers la nécessaire élucidation de la disparition de Meghan. Car c’est l’un des grands mérites de ce magnifique roman, qu’il faut avoir lu : on ne doute pas une seule seconde d’obtenir toute la vérité sur ce qui s’est passé entre les murs de ces maisons alignées dans ce paisible quartier de la banlieue de Londres, sur la nature de ce drame qui s’est joué là, au cœur d’un univers familier. Et on n’est pas déçu… Rien que d’y penser, j’en ai les poils qui se hérissent !

Certains lecteurs disent avoir difficilement « accroché » à cette histoire, notamment parce que la principale protagoniste, Rachel, est une jeune femme fracassée par la vie et par la consommation excessive d’alcool – une consommation qu’elle décrit sans fard, depuis les premières gorgées matinales jusqu’au coma de la fin du jour. J’ai pensé tout le contraire : Rachel est touchante, efficace, parce qu’elle est vraie. Sa descente aux enfers – l’impossibilité douloureuse de porter un enfant, l’envie de décrocher d’une réalité trop dure, l’évasion dans l’alcool,  les crises, la confusion mentale, la distance et les disputes avec son mari et son entourage, la perte de son emploi – et ses efforts pathétiques pour tenter de garder malgré tout la tête hors de l’eau sont incroyablement parlants et rendus avec une remarquable justesse de ton. Les deux autres personnages féminins sont également sont également très bien croqués par l’auteur : Meghan, la jolie coque vide qui traîne une vie dont elle ne sait visiblement que faire, et Anna, qui, sans état d’âme, a volé le mari d’une autre avant que les circonstances la forcent à entamer un long retour sur elle-même.

L’écriture est belle et fluide, le style direct et accessible… Rien de superflu, pas d’a priori et surtout un argument qui parle à chacun d’entre nous. Dans la promiscuité des villes et des transports en commun, nous sommes tous spectateurs les uns des autres, témoins involontaires d’instants du quotidien qui ne nous appartiennent pas et tentés d’inventer ce que nous ne voyons pas.

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