Polar ésotérique – Les pyramides de Napoléon, de William Dietrich

Printemps 1798. Dans la France de l’après-Révolution, Ethan Gage, un Américain installé à Paris pour affaires, ancien secrétaire de Benjamin Franklin et tireur hors pair, se remet des aventures qui l’ont mené jusque là en jouant aux cartes. Le gain d’un étrange médaillon qui aurait appartenu à Cléopâtre va attirer les convoitises et le contraindre à quitter la France. Sur le conseil de son ami Antoine Talma, il rejoint le bateau du Général Bonaparte, prêt à envahir l’Egypte et à entreprendre dans ce but une expédition pour le moins pharaonique, à la fois militaire et scientifique. Le grand homme  ne fait pas de mystère de ses intentions, puisqu’il nourrit vis-à-vis du berceau de la civilisation des visées véritablement impérialistes, sur les traces d’Alexandre le Grand… Mais il n’y a pas que cela : le petit caporal semble bien intéressé par tous les secrets mathématiques, théologiques et autres que recèlent la terre des dieux et les monuments extraordinaires qui la jalonnent. Mais quel intérêt pour un homme qui n’hésite pas à afficher en public le scepticisme le plus décomplexé ?

On met rarement la main sur un roman aussi hypnotique, instructif, captivant et réellement amusant à lire… C’est encore un inclassable, à la fois historique et ésotérique – mais ces deux catégories sont-elles seulement dissociables ? Avec sa fondation historique en béton armé et ces secrets préservés depuis l’aube du monde, il y a de quoi hésiter. Mais bon ! Puisque ce sont ces secrets, terribles et fascinants, qui font courir tout le monde – notamment des francs-maçons – j’ai choisi d’incliner plutôt dans ce sens-là.

Même s’il n’échappe pas aux clichés de l’Américain vagabondant dans l’ancien monde – armé d’un long rifle traditionnel et d’un tomahawk – Ethan Gage endosse bravement le rôle de narrateur, en plus de celui de personnage principal au milieu d’une galerie bien fournie et plus vraie que nature, et il adopte même un plaisant point de vue, à cheval sur le récit d’aventures et le regard porté a posteriori sur les hommes et les événements. Une vision du monde et de ses habitants qui crée une étonnante et très efficace proximité avec les lecteurs que nous sommes, et cela même si l’ensemble pèche parfois par un certain côté « porte-monstre-trésor ». Le suspense est pourtant bien présent, et l’intrigue reste de bonne facture, avec une écriture déliée, vive et ponctuée de traits d’humour. Un véritable page-turner impossible à lâcher !

Amis passionnés de polars sur fond historique, préparez-vous à vivre un véritable voyage dans le temps, orchestré de main de maître… Il ne faut pas attendre très longtemps – à peine une centaine de pages – pour que l’auteur se livre à l’un de ses exercices favoris, l’art de la description, avec un talent consommé et un esprit acéré. Le roman a beau s’intituler Les pyramide de Napoléon, on est bien loin de l’hagiographie béate… Jugez donc !

« Le général le plus célèbre d’Europe était maigre, petit et d’une jeunesse confondante. A vingt-neuf ans, il était le cadet de tous ses trente et un généraux, à l’exception de quatre. La différence entre les mesures anglaises et françaises avait incité les propagandistes britanniques à exagérer sa petite taille – en réalité, il mesurait un respectable mètre soixante-huit – mais il était si peu épais qu’il paraissait toujours sur le point d’être entraîné par le poids de son épée et avalé par ses bottes. Les Parisiennes moqueuses l’avaient surnommé « Chat botté », une taquinerie qu’il ne devait jamais oublier. L’Egypte allait faire de ce jeune homme le Napoléon qui prendrait le monde d’assaut, mais sur les ponts de L’Orient il n’était pas encore Napoléon. Il semblait bien plus humain, avec davantage de défauts et plus acharné que le colosse de marbre qu’il deviendrait. Les historiens érigent une icône, mais les contemporains vivent avec un homme. En réalité, l’ascension fulgurante de Napoléon pendant la Révolution était aussi agaçante qu’impressionnante et, parmi ses aînés, plus d’un espérait le voir échouer. Mais Bonaparte lui-même débordait de confiance en lui, au point d’en être vaniteux. (…) Quel héros il était à cette époque, bien avant sa période de palais et de fastes ! Une grande mèche noire lui barrait le front, il avait un nez romain, des lèvres avec une moue comparable à celle d’une statue classique, un menton fendu et des yeux sombres constamment en alerte. Quand il s’adressait aux troupes, il avait le don de savoir prendre en compte l’appétit de l’homme pour la gloire et l’aventure, et une prestance digne des héros de légende : le torse droit, la tête haute et le regard fixé sur un horizon mystique. Tout en lui, autant son comportement que son discours, montrait un homme maître de son action. (…) Pourtant les relations entre Napoléon et les individus étaient des plus étranges. Il avait acquis un charisme indéniable, mais on avait toujours l’impression qu’il jouait un rôle : il paraissait timide, lointain, méfiant, tendu. Quand il vous regardait, on se serait cru face à un lustre allumé ; il émettait de l’énergie comme un cheval dégage de la chaleur. Son pouvoir de concentration était intense, à la fois flatteur et redoutable (…). L’instant d’après, son attention était focalisée sur la personne suivante, vous laissant avec le sentiment qu’un nuage avait obscurci le soleil. Quelques secondes plus tard, il pouvait s’abstraire en lui-même, fût-ce au milieu d’une foule, fixant le sol avec la même intensité, les yeux baissés, perdu dans ses pensées, dans son propre monde. Une Parisienne avait décrit son attitude maussade comme typique de l’individu que l’on redoutait de croiser dans une ruelle sombre ».

En voilà, un portrait ! Avouez qu’il en sort rhabillé pour l’hiver, le pauvre !

Et puis, au final de toutes de ces pérégrinations, de Paris à Toulon et de Toulon à l’Egypte, le secret va-t-il être révélé ? Sans rien divulguer de compromettant, je dirais simplement que c’est une fin qui n’en est pas une et qui ne provoque qu’une chose : le besoin absolu de lire la suite, au plus vite ! En avant pour Hiéroglyphes !

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