Qui pouvait vouloir tuer la vieille et inoffensive Valentine Besson, dont la servante, Rose Trochu, est morte d’avoir bu un verre d’eau destiné à sa patronne – un verre d’eau qui contenait le somnifère habituel de Valentine ? L’empoisonnement à l’arsenic ne fait aucun doute, et le commissaire Maigret arrive à Etretat pour faire la lumière sur ce meurtre. Comme la journée précédant la mort de Rose était celle de l’anniversaire de Valentine, l’occasion pour la famille de la vieille dame de se réunir autour d’elle, Maigret se met à soupçonner les enfants : d’abord Arlette, la fille naturelle, née d’une liaison de Valentine avant son mariage avec Ferdinand Besson. C’est vrai que la dame, qui mène une vie privée passablement désordonnée, n’aime guère sa mère… Il y a aussi Théo Besson, l’un des deux beaux-fils de Valentine, un gaillard qui n’a jamais accepté que son père épouse Valentine et qui, curieusement, tournait autour de Rose depuis un petit moment. La cupidité ne peut être le mobile de ce crime : il y a bien longtemps que la fortune Besson a fondu comme neige au soleil, et la vieille dame qui vit très simplement ne possède plus que les répliques des bijoux fabuleux que lui avait offerts feu son mari. Sur ces entrefaites, Valentine abat d’un coup de revolver un « rôdeur » qui n’est autre que le frère de Rose… Pour Maigret, qui vient de découvrir une émeraude authentique montée sur une bague appartenant à Valentine, les pièces du puzzle commencent à s’assembler.
On ne lasse pas des aventures du commissaire Maigret, surtout lorsqu’il s’agit d’une histoire d’autant plus sordide qu’elle se déroule dans une agréable atmosphère de vacances et de bord de mer. Les gens les plus simples en apparence ont-ils tous en réalité une existence compliquée ? On finirait par le croire à lire cet excellent roman écrit entre le 29 novembre et le 8 décembre 1949… Dix jours pour écrire un livre ! Voilà qui donne le tournis à l’humble auteur que je suis, déjà très satisfaite d’arriver à boucler un premier jet en quatre mois… Mais il paraît que c’était la méthode du maître liégeois à la plume féconde : 193 romans, 158 nouvelles, plusieurs œuvres autobiographiques et d’innombrables articles et reportages publiés sous son propre nom, auxquels il faut ajouter 176 romans et des séries entières de nouvelles, de contes galants et d’articles parus sous 27 pseudonymes différents ! Cette incroyable créativité qui avait fasciné André Gide continue à éblouir aujourd’hui.
Ce n’est pas l’intrigue – finalement très simple – qui retient le lecteur, c’est tout ce que les écrivains d’aujourd’hui ont tendance à négliger : le décor et surtout les personnages – des caractères forts, ni sympathiques ni antipathiques, mais qui vont jusqu’au bout de leur logique. Dès les premières lignes, on plonge en plein dans une matière vivante et constamment en mouvement… On est bien loin des romans policiers de méthode scientifique qu’affectionnait le public au tournant des 19e et 20e siècles, et pourtant cela a marché, et cela continue à marcher.
Maigret, c’est aussi une évocation visuelle, puisque Simenon fut le premier romancier de notre époque à être adapté au cinéma dès le début du parlant, avec La Nuit du Carrefour et Le Chien Jaune, parus en librairie en 1931 et portés à l’écran en 1932. A côté du talent du réalisateur, c’est surtout le choix de l’interprète du rôle titre qui compte, car une fois qu’il est apparu à l’écran, c’est autour de lui que se structure toute l’histoire. Et nous avons tous notre favori : pour certains, Maigret, c’est Jean Gabin, qui fut l’ami de Simenon… Pour d’autres, personne ne pourra remplacer Jean Richard, héros de la première grande série télévisée consacrée à Maigret… Pour moi, c’est Bruno Cremer, magistral dans un rôle qu’il endossa 54 fois en 14 ans et qui servit l’œuvre de Simenon par son extraordinaire présence à l’écran. Et dans le cas particulier de la Vieille dame, il m’est impossible de l’imaginer sous d’autres traits que ceux d’Odette Laure… Une vieille dame à vous hérisser les cheveux sur la tête !
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