Contre la grille du cimetière de Barles, près de Digne, dans les Basses-Alpes, il y a une boîte aux lettres dont la présence incongrue n’a jamais choqué personne, une boîte aux lettres qu’on ne remarque pas et que naturellement personne n’utilise… Et pourtant, à plusieurs reprises, dans les années soixante, l’assassin à la belle écriture s’en est servi pour ses noirs desseins. C’était à l’époque où Pencenat Emile creusait sa tombe, dimanche après dimanche, rien que pour ne pas devoir plus tard reposer dans le caveau familial avec son épouse Prudence – une maigre mégère qui lui menait la vie dure. Le malheureux homme a simplement obéi à un réflexe, et il ne savait pas vraiment ce qu’il faisait lorsque pour la première fois il a ramassé une des étranges missives annonciatrices d’une effroyable vengeance. « Comme vous mesurerez, il vous sera mesuré » : n’est-ce pas assez pour s’enfermer chez soi à double tour, ou prendre ses jambes à son cou ?
L’atmosphère est posée, et elle est épaisse à couper au couteau : ce mystère-là, c’est du lourd, du très lourd… De quoi vous lever toutes les cinq minutes pour aller vérifier que la porte est bien fermée et les lumières toutes allumées. Une sombre histoire commence… une histoire de haine et de vengeance qui sont transmises de génération en génération dans une famille qui n’a de famille que le nom. A côté des Melliflore, les Capulet et les Montaigu ont l’air de petits rigolos. Imaginez-vous une veillée funèbre : deux fils se recueillent auprès de leur père mourant, et chacun d’eux sait que le maigre lopin de terre familial ne peut suffire qu’à un seul descendant – et il n’y a qu’un seul fusil dans la maison ! La beauté des paysages extraordinaires qui sont le théâtre de ce drame à travers les âges n’y change rien : ni la rudesse des cœurs, ni la cruauté des mœurs dans ces petits coins de France où l’on s’offrait le luxe d’ignorer la loi et la marche de l’Histoire.
Mais l’aridité de l’argument, tout rêche et tout rugueux, n’empêche pas l’auteur de déployer son talent et sa verve inimitable – son humour aussi – dans la description de tous ces personnages qui croisent la route des deux enquêteurs, le commissaire Laviolette et le juge Chabrand, mandatés pour faire toute la lumière sur le meurtre affreux de Véronique Champourcieux, une demoiselle de bonne famille, « montée en graine » comme on dit, célibataire à 43 ans et vivant seule dans la vaste demeure familiale. Bientôt, c’est une autre femme de la famille qui est assassinée chez elle… Que cherche le meurtrier, en s’attaquant à ces dames qui vivaient seules dans leurs grandes maisons ? Rien n’y manque… Du moins en apparence, car en réalité c’est une chasse, âpre et brutale, une chasse au trésor, qui vient de s’engager ! Pas un seul temps mort, pas un mot de trop, aucun remplissage, tout bien à sa place le plus naturellement du monde, le suspense maintenu sans artifice jusqu’à la dernière ligne… Voilà qui en remontrerait aux auteurs d’aujourd’hui !
Un roman qui fait voyager, dans le temps et l’espace… Une ambiance à nulle autre pareille, que l’excellent téléfilm de 2006 peine à rendre dans toute son intensité : le talent de la réalisatrice Philomène Esposito et l’incroyable présence à l’écran de Victor Lanoux, impérial dans ce rôle de Laviolette qui lui allait comme une seconde peau, ne peuvent surpasser l’extraordinaire capacité de Pierre Magnan à évoquer son terroir et la mentalité particulière de ses habitants. Une écriture vraie, riche, littéraire, au service d’un univers étrange et décalé. En déposant ce livre qui ressemble à un conte, tout mâtiné qu’il est d’histoires du temps jadis et de sagesse désuète, on ne peut pas faire autrement que se sentir Bas-Alpin jusqu’au fond des os !
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