Policier classique – Le meurtre de Roger Ackroyd, d’Agatha Christie

Cela fait tout juste un an que le mari de Mrs Ferrars est mort. Le malheureux a succombé à une gastrite aiguë… C’est du moins ce qu’il semble. C’est vrai : après tout, les symptômes de l’empoisonnement à l’arsenic sont presque les mêmes. Napoléon, que l’on dit avoir été intoxiqué à l’arsenic pendant plusieurs années, n’a-t-il pas lui-même souffert de lancinantes douleurs à l’estomac ? Mais au diable ces suppositions que rien n’étaye… Le plus ennuyeux dans cette histoire navrante, c’est que Mrs Ferrars vient de mourir, elle aussi. On dit qu’elle aurait pris une trop forte dose de véronal. Se serait-elle suicidée ? Mais non, voyons ! Elle n’avait aucune raison d’abréger ses jours : elle était encore jeune et elle était très riche. Et voilà que c’est Mr Ackroyd, avec qui Mrs Ferrars s’entendait si bien, qui est assassiné, poignardé dans la nuque ! Le doute n’est plus permis : trois décès, dont un suicide provoqué par un odieux chantage et un meurtre brutal – deux meurtres, en réalité – c’est trop pour le paisible village de King’s Abbot. Heureusement, dans ce petit coin de campagne anglaise, il y a aussi Hercule Poirot, venu là pour couler une retraite tranquille. Et pour l’aider à mener l’enquête, le détective belge, qui n’a rien perdu de son flair, peut compter sur son voisin, l’obligeant docteur James Sheppard.

Dans ce roman paru en 1926, la Reine du Crime se livre à un véritable tour de force narratif qui lui a assuré la célébrité – Le meurtre de Roger Ackroyd occupe la 5e place au classement des cent meilleurs romans policiers de tous les temps  – et aussi pas mal de critiques. Au jeu des règles du roman policier, la grande dame paraît n’avoir retenu que le recours à des personnages stéréotypés, diront certains, tandis qu’elle abandonne sans scrupule l’obligation de maintenir le lecteur et l’enquêteur sur un pied d’égalité et recourt à une pirouette indigne d’elle… Les auteurs ont-ils le droit de tricher et de manipuler leurs lecteurs ? Oui, à condition de produire des chefs-d’œuvre.  Quand on sait que l’argument si particulier de cette enquête hors du commun a été soufflé par Lord Mountbatten lui-même, on ne peut que s’incliner humblement. Et puis, à bien y regarder, Agatha Christie, s’exprimant à travers le narrateur, le docteur Sheppard, ne ment pas : elle ne dit que la vérité, mais pas toute la vérité… Le mensonge par omission est-il la plus laide contrefaçon de la vérité ? On s’interroge encore.

Un ingénieux tour de force, donc, et aussi un formidable défi pour des générations de lecteurs présents et à venir, puisqu’en dépit de presqu’un siècle d’âge, Le meurtre de Roger Ackroyd constitue toujours un mystère classique, certes, mais sombre à souhait et proposé à la perspicacité de ceux qui voudraient se mesurer au grand Hercule Poirot. La solution présente la curiosité d’être à la fois attendue et déconcertante. L’intrigue est merveilleusement compliquée, les fausses pistes dont la Reine du Crime a émaillé ce roman culte sont savoureuses et cohérentes, les personnages véhiculent des secrets qui s’imbriquent les uns aux autres comme un puzzle diabolique, les rebondissements s’enchaînent pour contrarier l’enquête ou pour la favoriser, par des chemins détournés… Tout ce qu’il faut pour être au top et le rester !

Le meurtre de Roger Ackroyd, c’est le roman policier dans toute sa perfection, souvent imité, jamais égalé ! Une petite curiosité avant de conclure (ou un délire, à vous de juger) : une fin alternative a été proposée en  1998, dans l’ouvrage de Pierre Bayard, Qui a tué Roger Ackroyd ? Selon le critique qui a passé au crible chaque mot de chaque phrase et la moindre virgule, Hercule Poirot se trompe, et la meilleure preuve que son raisonnement ne tient pas, c’est que le coupable qu’il semble désigner n’avoue jamais ouvertement le crime, même dans les dernières lignes.

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