Biographie – La reine et la favorite, de Simone Bertière

625 pages de délice, qu’on dévore sans désemparer, pour ce livre qui constitue le troisième volet du cycle consacré aux reines de France au temps des Bourbons… Toujours cette même manie de ne pas commencer une série par le n°1 ! Après le n°2 (Les femmes du Roi Soleil), voici le n°3… Voilà qui a l’avantage de présenter, sinon une certaine logique, du moins une continuité certaine.

Louis XV, que son métier ennuie parce qu’on lui a infligé trop tôt des tâches trop lourdes, laisse prendre aux femmes qui l’entourent une place prépondérante. Fiancé à onze ans à sa cousine Marie Anne Victoire de Bourbon, Infante d’Espagne, puis marié à quinze ans à une princesse polonaise plus âgée que lui dans le but déclaré d’assurer au plus vite la descendance, il débute sa carrière de séducteur par les trois sœurs de Nesle, avant que ne s’installe auprès de lui pour vingt ans Madame de Pompadour, née Jeanne-Antoinette Poisson. La reine, Marie Leszczynska, forte de sa progéniture et de sa position d’épouse légitime, se pose en gardienne de la tradition dans une cour où la brillante favorite, issue des milieux financiers parisiens et protectrice des encyclopédistes, apporte un souffle de modernité. Les vains efforts pour faire chasser la marquise rythment de leurs péripéties dramatiques ou plaisantes une histoire qui la voit chaque fois rebondir, jusqu’à faire fonction de Premier ministre. Autour du roi, de la reine et de la favorite, se profile toute la famille, avec les cousins de Madrid et surtout avec les enfants du couple royal : le Dauphin et ses deux épouses successives, dont la charmante Marie-Josèphe de Saxe, et aussi une ribambelle de filles, dont seule l’aînée trouvera preneur. Des naissances, des amours, des conflits, des morts, sur fond de difficultés politiques croissantes. Entre les mains du roi Louis XV, un homme dépressif et pétri de contradictions que la postérité a qualifié de Soleil noir, la monarchie absolue se désacralise et se décompose lentement, incapable de s’adapter aux changements qui travaillent la société : lorsque meurent la favorite, puis la reine, son destin est pratiquement scellé.

A nouveau, c’est l’Histoire, avec un grand H, envisagée par le biais des femmes qui l’ont faite. Et par ce biais, on peut mesurer combien le régime monarchique tel qu’on le concevait au 18e siècle tenait essentiellement à la personnalité de celui qui l’incarnait. Après les grandeurs de Louis XIV, dont les regrets exprimés sur le lit de mort vinrent bien tard – bien trop tard – voici les doutes et les reculades de son arrière-petit-fils, l’ultime rejeton de cette famille dont s’enorgueillissait le grand Roi. Bien sûr, il y a les chiffres, les bilans, la longue liste des manquements de Louis XV, roi bien aimé à ses débuts mais dont le corps fut emmené de nuit à Saint-Denis, de crainte d’un débordement populaire. Et pourtant, comment en vouloir à cet homme qui n’eut jamais d’autre famille que celle qu’il créa ? Dépressif, dit-on… N’importe qui l’aurait été à sa place… Une enfance scrutée, une vie exposée : il suffit de visiter Versailles pour mesurer toute l’inhumanité du lieu, pourtant magnifique sous les ors et les marbres. Comment s’étonner alors que Louis XV ait voulu à toute force s’assurer un espace de bonheur personnel et de vie privée ?

« Le métier tel que l’avait défini et pratiqué Louis XIV impliquait l’effacement total de l’homme au bénéfice de sa fonction. Et tout, jusque dans les moindres détails de la vie quotidienne, était fait pour isoler du commun des mortels la personne du roi, objet d’un culte qui enracinait la monarchie dans l’ordre surnaturel. Par rapport à la doctrine qui conférait à une famille, à une dynastie, la mission de gouverner la France, il s’agissait déjà d’une dérive, qui excluait fâcheusement la reine et concentrait sur le seul monarque toute la charge de sacré que comportait le régime. Comme le dit très pertinemment François Furet, « cette divinisation du roi est un facteur d’affaiblissement de la royauté », car elle subordonne trop étroitement celle-ci à la personnalité de celui-là ».

Si Simone Bertière, référence incontestable de l’histoire des reines de France, est si aimée de ses lecteurs, c’est parce qu’elle sait mieux que quiconque exprimer toute la sympathie que lui inspirent les sujets de ses biographies historiques. Les détails abondent sans jamais verser dans le voyeurisme : les personnalités royales évoquées sont si bien et si complètement dépeintes qu’on a l’impression de les toucher littéralement du doigt. Le style de Simone Bertière est vivant, délié, accessible mais cependant également érudit et précis.

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