Un ouvrage fondateur qui remet en question l’enquête menée par Nikolaï Sokolov en 1919, mais qui date : 1976 pour l’édition originale, 1980 pour l’édition en français… C’est vrai : ne tournons pas autour du pot, c’est un ouvrage qui ne date pas d’hier. Est-il dépassé pour autant ? Je ne le crois pas car il a l’avantage d’initier une démarche historique renouvelée, au sens étymologique du terme. Une démarche explicitée par les auteurs dans la préface.
« En juillet 1918, alors qu’ils étaient aux mains des communistes, le tsar de Russie Nicolas II, sa femme Alexandra et leurs cinq enfants disparurent et on ne les revit jamais. Officiellement, ils avaient été tués à coups de fusil et de baïonnette dans la maison où ils étaient tenus prisonniers, à Ekaterinbourg. Mais pendant les cinquante-huit années qui suivirent, le mystère et les contradictions de cette affaire n’ont fait que croître, masquant la vérité, créant des légendes, ajoutant à la confusion. Ceux qui se sont intéressés avec le plus de passion et le plus de sérieux au mystère Romanov ont passé des années à étudier le cas de la femme qui affirmait être Anastasia, la plus jeune fille du tsar, la seule à avoir survécu à l’assassinat de sa famille. D’autres ont répandu des histoires fantaisistes sur l’évasion de toute la famille impériale. Malgré cela, la version du massacre dans la cave a été généralement acceptée et non sans raison : après le jour où ils disparurent, aucun des Romanov n’avait été vu vivant par un témoin digne de foi. Aujourd’hui, comme pour les générations précédentes, la fin des Romanov reste un symbole de la révolution sanglante et peut-être le régicide le plus révoltant de l’Histoire.
Mais plus que tout autre assassinat de notre temps, de celui de Sarajevo à celui de Dallas, l’affaire Romanov, fut, dès le début, empreinte de mystère. Les enquêteurs russes blancs arrivés sur les lieux du crime quelques jours après la disparition de la famille et qui y ont travaillé un an n’ont pas découvert un seul cadavre et aucun indice plus probant que quelques traces de balles, quelques taches de sang, et des vêtements qui avaient appartenu à la famille impériale. Les enquêteurs ne produisirent qu’un seul témoin oculaire qui, disait-il, avait vu les cadavres impériaux. En 1971, quand nous avons commencé à travailler sur l’affaire pour un documentaire de la BBC, nous avons essayé d’y appliquer les méthodes d’investigation modernes, bien que nous dussions nous tenir constamment sur la frontière qui sépare l’histoire poussiéreuse du journalisme vivant. Des experts légistes ont examiné les indices matériels disponibles, des spécialistes du chiffre ont examiné les messages codés, et des graphologues de Scotland Yard ont étudié des signatures d’une importance capitale. Peu à peu, d’anciennes pièces à conviction, une fois soumises à une analyse plus rigoureuse, se sont avérées sujettes à caution. Les seuls restes identifiables jamais découverts, ceux d’un petit chien de la famille impériale, semblaient maintenant avoir été déposés sur les lieux après coup. Un télégramme d’une importance vitale avait toutes les apparences d’un faux. Cependant, bien que la version du massacre ait été sérieusement remise en question, nos découvertes ne nous ont guère avancés quant au sort qui fut réellement réservé aux Romanov.
Les moyens mis à notre disposition par la BBC nous ont permis de courir le monde sur les traces des rares survivants encore susceptibles d’expliquer le nombre croissant des contradictions. Nous avons également étudié les témoignages écrits : lettres, rapports, dépositions, mémorandums, tous rédigés, un demi-siècle plus tôt, par des rois et des révolutionnaires, par des Premiers ministres et des paysans. En trois ans, le dossier a grossi (…). Notre instinct (…) nous fit sentir qu’il y avait vraiment là un mystère à résoudre. Mais nous n’en trouvions toujours pas la solution.
Ce n’est que beaucoup plus tard que nous mîmes la main sur un document que nous cherchions depuis le début mais que nous désespérions de jamais trouver : le dossier original des enquêteurs russes blancs, dont les conclusions publiées dans les années 1920 avaient fourni à l’histoire la version du massacre. C’est comme si, en l’an 2000, quelqu’un qui enquêterait sur l’assassinat du président Kennedy, trouvait soudain tous les papiers de la commission Warren d’où elle a tiré son rapport officiel. Ce que nous avons déniché, concernant l’affaire Romanov, c’est sept volumes de témoignages, de rapports de police et de dépositions faites sous serment. Tout cela (en russe) avait, pendant des décennies, été perdu pour les chercheurs. Il nous apparut immédiatement que de grandes quantités d’indices et de preuves avaient été délibérément écartées. Le dossier montrait à l’évidence – et prouvait beaucoup mieux que n’est prouvée la version du massacre officiel – que la plupart des membres de la famille Romanov étaient encore vivants des mois après qu’on les avait dit morts.
Le Dossier Romanov tente de débrouiller l’écheveau d’un mystère unique en son genre et projette un peu de lumière sur ce qui a pu vraiment arriver à Nicolas, à Alexandra et à leurs enfants en ce moment crucial de l’histoire que fut l’été 1918 ».
1976… Faut-il voir une corrélation entre la parution de cette enquête et la décision de Boris Eltsine, alors premier secrétaire de la section de l’oblast de Sverdlovsk, de faire raser la maison Ipatiev – les lieux du crime ou du moins, le dernier endroit connu où vécurent les Romanov. C’était en 1977, un an avant que ne soient découverts trois crânes, dans la forêt, à une quinzaine de kilomètres d’Ekaterinbourg.
En 1990, neuf des onze corps recherchés (sept membres de la famille Romanov et quatre de leurs serviteurs) sont exhumés et une analyse ADN est ordonnée. Le 16 juillet 1998, Nicolas II, son épouse et trois de leurs enfants sont inhumés dans la cathédrale Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg. Les deux corps manquants, découverts en juillet 2007, y sont également placés.
Les Romanov sont morts et enterrés. Soit ! Mais la découverte de ces ossements n’est pas tout. Je ne vais pas m’aventurer sur la pente savonneuse des conjonctures relatives à la fiabilité des analyses ADN, mais seulement faire remarquer ceci : ils sont tous morts là-bas, mais qui dit qu’ils ont vraiment été exécutés tous ensemble dans cette cave de la maison Ipatiev, comme le soutient la version officielle ? La thèse d’une exécution qui n’aurait d’abord concerné que le tsar et son fils prend une consistance vertigineuse au fil des pages du Dossier Romanov : l’impératrice et ses filles auraient tout à fait pu être maintenues en vie et en détention jusqu’à un éventuel échange de prisonniers. Le souci est naturellement qu’après le 11 novembre 1918, elles ont perdu toute valeur en tant qu’otages. Cinq femmes sans défense et sans recours, au milieu d’un pays déchiré par la guerre civile… Que leur est-il arrivé ? Il aurait sans doute mieux valu pour elles qu’elles soient fusillées comme on le raconte dans les livres d’histoire.
Un incontournable pour tous les passionnés de l’affaire Romanov.
A lire, si ce n’est déjà fait : Le complot Romanov de Steve Berry 😉
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