En 1780, la France qui est entrée en guerre aux côtés des Insurgents américains peine à financer les opérations maritimes contre l’Angleterre. Alors qu’il affronte la colère du peuple au cimetière des Innocents où les cadavres croulent dans les maisons environnantes, Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet chargé des affaires extraordinaires et marquis de Ranreuil, est appelé à enquêter sur la mort suspecte d’un ancien contrôleur général de la Marine. A première vue, il ne s’agit que d’un accident domestique, aux conséquences tragiques… A première vue, seulement ! Quels sombres secrets divisent les Ravillois, la famille du défunt ? Qu’a-t-on dérobé dans la chambre du mort ? Où mènent tous les étranges indices relevés sur les lieux du drame ? Enfin, que redoutent donc ces hauts personnages – Sartine, Necker et même le roi lui-même – pour s’intéresser autant à cette affaire en apparence anodine ? Lorsque s’ajoutent la dimension financière et le rôle évident joué par l’ennemi anglais sur le sol de France, l’imbroglio prend des airs de raison d’Etat qui ne laissent rien augurer de bon.
C’est à nouveau ce sacré Nicolas que nous retrouvons empêtré jusqu’au cou dans une affaire qui sent le soufre dès le début : l’auteur a beau se donner un certain mal à faire passer le drame pour un accident, cela ne prend pas vraiment. D’accord : il s’agit là d’une déformation courante chez les lecteurs assidus des romans de Jean-François Parot. En clair : on a tellement l’habitude de le voir tirer un fil hors d’une pelote pour en faire une intrigue de tous les diables qu’on se tient immédiatement sur ses gardes, au taquet, comme on dit. Le ton est très vite donné : la victime, Edme de Chamberlin, appartient à une famille passablement compliquée et très évidemment intéressée par tout ce qui touche à l’héritage. C’est aussi un homme dont les activités au sein de la Marine mènent en droite ligne à Sartine lui-même, l’ancien supérieur de Nicolas, devenu ministre de la Marine en plein contexte de guerre. Or, c’est justement ce contexte particulier qui pousse Sartine à engager des dépenses pharaoniques pour moderniser ce corps d’armée délaissé – ce qui l’expose à de nombreuses critiques et à des acrimonies diverses. Heureusement, le commissaire Le Floch pourra compter sur son entourage – l’inspecteur Bourdeau, le procureur de Noblecourt, le bourreau Sanson – pour démêler cet écheveau qui fleure bon la trahison et l’espionnage.
Au-delà de l’intrigue, qui est excellentissime, comme toujours, il y a le plaisir toujours renouvelé de plonger dans les merveilleuses descriptions que Jean-François Parot donne de la France pré-révolutionnaire : les événements, la langue, les mentalités, les costumes et aussi bien sûr la cuisine de la fin du 18e siècle. Dans cet opus, qu’on ne se lasse pas de relire, il y a aussi l’intérêt suscité par le voile légèrement levé de l’origine de Nicolas Le Floch. Fils du marquis de Ranreuil, qui fut un des plus chers amis de Louis XV, soit… Reconnu par testament après la mort de son père, qui avait endossé jusque là le rôle de parrain afin de garder un œil sur cet enfant qu’il aimait, à n’en pas douter, soit… Mais quel est le secret qui a poussé le père de Nicolas à se taire pendant tant d’années, au lieu de se donner à connaître de son vivant ? Et qui est la mère du nouveau marquis de Ranreuil ? Tant de questions, et seulement un début de réponse… Ce n’est déjà pas mal !
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