Edouard V, roi d’Angleterre, et son frère Richard de Shrewsbury, duc d’York, sont les fils d’Edouard IV et de son épouse Elisabeth Woodville – les seuls fils encore vivants au moment de la mort de leur père en 1483. Les deux garçons, âgés de 12 et 9 ans, sont confiés à la garde de leur oncle Richard, duc de Gloucester, qui devient Lord Protecteur. Afin d’assurer la sécurité des deux enfants et conformément à la tradition, jusqu’au couronnement d’Edouard V, Richard de Gloucester décide de les loger dans la Tour de Londres. Mais dans cet intervalle, Richard ceint la couronne sous le nom de Richard III tandis que les deux jeunes princes disparaissent mystérieusement.
Cet épisode de l’histoire d’Angleterre est célèbre depuis que Shakespeare en a fait l’argument de sa pièce Richard III, sorte de roi maudit qui avait ramassé le sceptre dans le sang qu’il avait lui-même fait verser. Mais en réalité, on ignore ce qui est advenu des deux enfants après leur disparition. L’hypothèse la plus souvent avancée est l’assassinat, mais dont le commanditaire n’est pas toujours Richard III : certains historiens ont suggéré qu’il pouvait s’agir d’Henry Stafford, 2e duc de Buckingham, ou du futur Henri VII Tudor, qui a épousé en 1486 Elisabeth d’York, la sœur aînée des deux princes. On a aussi avancé d’autres commanditaires, comme Marguerite Beaufort, mère d’Henri VII. Naturellement, la thèse de la survivance a eu aussi ses partisans, comme Marguerite d’York, tante des princes disparus, qui affirmait que Perkin Warbeck, officiellement le fils d’un comptable flamand, était en réalité son neveu Richard.
En 1674, des ouvriers travaillant à la Tour de Londres ont découvert, sous les escaliers de la Tour, une caisse de bois contenant les restes de deux enfants. On considère assez vite que ce sont les deux princes assassinés, mais aucune preuve ne vient étayer cette thèse, si ce n’est quelques lambeaux de velours attachés aux ossements et qui laissent croire qu’il s’agit de petits aristocrates. Le roi Charles II ordonne le transfert et l’inhumation des dépouilles à l’abbaye de Westminster, où elles reposent toujours.
Les sources disponibles sont malheureusement toutes partiales, tardives et non exhaustives : tant de rumeurs ont circulé qu’il est difficile – voire impossible – de reconstituer la vérité sur le sort des deux enfants. Il y a aussi la légende noire de Richard III, pivot de la propagande de légitimation de la Maison Tudor – une propagande notamment alimentée par Thomas More. Un seul compte-rendu contemporain existe : celui de Dominique Mancini, rédigé à Londres avant le mois de novembre 1483. Le moine italien en visite en Angleterre rapporte l’enfermement des enfants à la Tour, et leur disparition après qu’un médecin les ait vus à de nombreuses reprises – ledit médecin se repentant ensuite de ses pêchés. Ce document est découvert en 1934 à la bibliothèque municipale de Lille. Alors, qui croire ? Dans son récit qui sert de colonne vertébrale à la pièce de Shakespeare, Thomas More affirme que les deux corps ont été transférés hors de la Tour : mais, si c’est le cas, à qui sont les ossements trouvés en 1674 ? Des examens pratiqués sur ces corps en 1933 ont démontré que l’âge des deux enfants correspond aux enfants d’Edouard IV, mais on n’a pas pu confirmer leur sexe. Il serait sans doute opportun d’exhumer à nouveau ces corps pour pratiquer des tests ADN, mais la reine Elisabeth II refuse de donner son accord.
Aujourd’hui, on s’accorde généralement sur la culpabilité de Richard III, mais pas sur toute la ligne : en effet, s’il est blâmable qu’il ait écarté ses neveux pour usurper le trône, on n’imagine pas qu’il ait pu penser conforter sa position et sa légitimité en les assassinant. De son côté, Henri VII a habilement tiré son épingle du jeu en arguant qu’il n’y a pas de fumée sans feu… Sauf que cette fumée, c’est essentiellement lui qui la créait en colportant les pires ragots.
Quelques livres pour aller plus loin :
Paul Murray Kendall, Richard III
A.J. Pollard, Richard III and the princes in the Tower
William Shakespeare, Richard III
Et des romans :
Elizabeth George, Mémoire infidèle. Moi, Richard
Sophie Cassagnes-Brouquet, Meurtres à la cour de Richard III
Joséphine Tey, La fille du temps
Philippa Gregory, La reine clandestine
Philippa Gregory, La princesse blanche
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