Février 1599. Marguerite de Valois, qui a épousé en 1572 de Henri de Bourbon, devenu Henri IV en 1589, accepte enfin de divorcer. Leur mariage sans amour, imposé par la raison d’Etat, était de toute façon condamné depuis longtemps, mais la reine Margot s’entêtait depuis des mois dans un refus qu’elle n’expliquait que d’une manière : pas question de laisser le champ libre à la « putain du roi », la belle et intrigante Gabrielle d’Estrées, duchesse de Beaufort, qui a donné trois enfants à Henri IV et qui en attend un quatrième. Le roi est tellement amoureux de Gabrielle qu’il lui a promis de l’épouser, alors même qu’il entame avec la cour des Médicis des pourparlers en vue d’épouser la princesse Marie – une femme jeune, capable de lui donner un héritier, et qui plus est, issue d’une famille régnante, c’est-à-dire digne d’une alliance avec la Couronne française. Car même le peuple appelle de ses vœux une reine digne du trône, et non pas la « duchesse d’ordure ».
A quoi joue Henri IV ? C’est difficile de le savoir… Compte-t-il vraiment épouser Marie et décevoir Gabrielle à qui pourtant il fixe une date, le 10 avril ? Va-t-il au contraire officialiser son union avec Gabrielle et humilier la maison des Médicis ? Même Gabrielle n’y comprend rien : même si le 23 février Henri lui a offert l’anneau du sacre, elle panique et tente de retenir Henri malgré lui – en lui faisant croire, par exemple, qu’une maladie dont il relève l’a rendu stérile. Elle consulte des astrologues et des devins, mais leurs présages, loin de l’apaiser, l’inquiètent encore plus : on lui annonce que sa grossesse en cours l’empêchera de devenir reine, qu’elle n’était destinée qu’à un seul mariage (de fait, elle a déjà épousé pour l’apparence Nicolas d’Amerval de Liancourt dont elle a divorcé presque aussitôt afin d’être libre pour le roi), qu’elle va mourir jeune (elle a 26 ans) et surtout qu’elle ne verra pas le jour de Pâques, fixé le 11 avril.
Henri ne prête aucune attention à ces présages néfastes, et comme il l’a prévu, il s’en va passer la semaine sainte à Fontainebleau tandis que Gabrielle reste à Paris. Le lendemain du départ du roi, le 7 avril 1599, Gabrielle dîne chez le financier Sébastien Zamet. Elle y déguste notamment un citron givré. Elle est alors foudroyée par un malaise qui révulse complètement son visage : elle se plaint de violentes douleurs à l’estomac – des douleurs qui s’étendent à l’abdomen et provoquent la naissance d’un petit garçon mort-né. Gabrielle succombe dans la nuit du 9 au 10 avril.
De quoi la jeune femme est-elle morte ? La question est pertinente, car ce décès inopiné épargne une crise intérieure et internationale à la France qui se remet encore des affres des guerres de religions. Le financier Zamet a-t-il empoisonné la maîtresse du roi ? A-t-il agi sur ordre ? Si oui, sur l’ordre de qui ? Gabrielle, la « presque reine », était si détestée que les candidats à son assassinat se bousculent… Même l’attitude d’Henri IV qui ne se précipite pas au chevet de sa maîtresse ne laisse pas d’étonner… Il portera pourtant le deuil de Gabrielle, ce que l’étiquette n’admettait pas. Quoi qu’il en soit, il ne faut cependant pas écarter l’hypothèse d’un décès dû à des causes naturelles – une crise d’éclampsie provoquée par un taux élevé d’albumine dans les urines, une pathologie de la femme enceinte qui peut donner lieu à tous les symptômes présentés par Gabrielle. Des symptômes qui s’apparentent aussi à un empoisonnement…
Gabrielle d’Estrées est inhumée dans le chœur de l’église abbatiale de Maubuisson. Son domaine de Montceaux-lès-Meaux est repris par Henri IV qui l’offrira à Marie de Médicis deux ans plus tard, après la naissance du dauphin, le futur Louis XIII.
Quelques livres pour aller plus loin :
Pascal Arnoux, Favorites et dames de cœur : quand l’amour triomphe de la raison d’Etat
André Castelot, Henri IV le passionné
Jean-Pierre Babelon, Henri IV
Philippe Erlanger, Gabrielle d’Estrées, femme fatale
Michel de Decker, Gabrielle d’Estrées, le grand amour d’Henri IV
Isaure de Saint-Pierre, Gabrielle d’Estrées ou les belles amours
Votre commentaire