Le 19e siècle et la première moitié du 20e siècle ont popularisé les malles comme le moyen idéal de se débarrasser d’un cadavre, coupé en morceaux ou non. Le bagage peut ensuite être abandonné dans la nature ou déposé à une consigne de gare, mais la puanteur finit immanquablement par attirer l’attention et provoquer la découverte du corps. Plusieurs récits de fiction, comme La Malle sanglante, de Maurice Level, ou des films, comme La Corde, d’Alfred Hitchcock, ont contribué à perpétuer le mythe.
1877. Madame Gillet, une vieille laitière du faubourg Saint-Martin, qui possède quelques économies consulte un certain Barré, un homme d’affaires qui pourra la conseiller pour des placements. Celui-ci, flairant le magot, en parle à son ami Lebiez, étudiant en médecine, et tous deux combinent aussitôt l’assassinat de la dame. Ils l’assomment à coups de marteau et Lebiez, qui a apporté sa trousse, découpe la mère Gillet en morceaux qu’il enveloppe dans les jupons de la victime. Puis les meurtriers enferment le tout dans une malle qu’ils expédient au Mans, en gare restante. Ils se croient tellement à l’abri que Lebiez va jusqu’à donner une conférence sur « La lutte pour la vie ». La malle reste trois semaines en souffrance à la consigne de la gare du Mans, jusqu’à ce que l’odeur infecte qu’elle exhale la fasse ouvrir. Le parquet du Mans la renvoie à Paris d’où elle est venue. Le corps est identifié grâce aux lambeaux de jupons qui emballent les restes humains. Puis Barré, dont les visites à Madame Gillet sont évoquées par la concierge, déballe toute l’affaire sans qu’on ait à le forcer, et il dénonce son complice. Tous deux sont guillotinés le 7 septembre 1878.
Une autre affaire secoue l’opinion une décennie plus tard. Le 26 juillet 1889, l’huissier parisien Gouffé disparaît de son domicile. Le 13 août suivant, le cadavre d’un homme en état de décomposition avancée est trouvé sur le versant d’un glacis boisé de la commune de Millery, près de Lyon. Une petite clef est découverte sous le corps. Le 15 août, le hasard fait retrouver, à quelques kilomètres de là, dans les broussailles, les morceaux d’une grande malle brisée. La clef découverte sous le cadavre s’adaptant parfaitement à la serrure de ce coffre, aucun doute n’est permis. La malle a servi à transporter l’inconnu. Le 29 novembre, on acquiert la certitude que le colis macabre a été expédié le 27 juillet, de Paris, par un certain Eyraud.
Le mois suivant, on trouve le vendeur de la malle : elle a été achetée chez un maroquinier de Londres, par une prostituée, Gabrielle Bompard, qui était à la fois la maîtresse d’Eyraud et de l’huissier Gouffé. Mais les deux assassins ont pris la fuite. Gabrielle Bompard est retrouvée aux Etats-Unis, et Eyraud est arrêté à Cuba au terme d’une véritable chasse à l’homme. Les deux amants, qui affichent un cynisme écoeurant, avouent avoir assassiné Gouffé pour le dévaliser. Bompard, qui affirme que son amant l’avait hypnotisée, est emprisonnée et Eyraud guillotiné le 3 février 1891.
D’autres affaires ont également défrayé la chronique : en avril 1889, le cas du malheureux Delhumeau, défiguré par sa femme qui croyait l’avoir tué et avait caché le corps de son mari dans une malle, où l’homme sera retrouvé vivant trente heures plus tard ; en 1920, l’histoire de ce garçon de café tué, découpé et expédié par malle de Bruxelles à Nancy ; et aussi le cas du comptable Rigaudin, découpé en petites rondelles et déposé dans une malle que l’on découvre à Lille en 1929.
Des affaires qui font froid dans le dos et un thème littéraire désormais classique qui a encore sans doute de beaux jours devant lui.
Quelques livres :
Pierre Darmon, La malle à Gouffé
Jules Beaujoint, La malle sanglante : assassinat de l’huissier Gouffé. Affaire Eyraud et Bompard
Maurice Level, La malle sanglante
Maurice Boué, Le secret de la malle rouge
Xavier Armange, La malle sanglante du puits d’enfer
Michel Epuy, Le secret de la malle noire
Et enfin Agatha Christie, Un, deux, trois
Votre commentaire